11 Novembre 2013
Il y a 10 ans, j'ai voulu acheter ma maison avec mon Homme aimé. La première maison de notre belle histoire. J'avais 34 ans. Mon ventre était plein comme un oeuf, rempli par le petit homme à naître. Bonheur.
J'ai trouvé la maison. Avec de grandes ouvertures sur la terrasse et une glycine dans le jardin. Dans un chouette village de la banlieue sud de Paris. Avec une place, une l'église et un café sur la place de l'église ; un bon boucher et un bon fromager dans la rue pavée du centre ; et un petit lac avec une famille de canards. Je nous ai vu lancer du pain aux canards sous les saules, à 3, puis à 4, peut-être à 5. Bonheur.
Et puis la banque nous a téléphonés. Il n'y avait aucun problème pour le prêt, non, bien sûr. C'est l'assureur de la banque qui refusait de me couvrir. "Trop risqué, vous comprenez ? Votre cancer à 26 ans (A l'époque, les autres cancers n'étaient pas encore venus m'embêter. Je pensais que ce serait le seul et le dernier). Ce lymphome en 96. Bien entendu, cela fait 7 ans. Vous êtes guérie. Mais l'assureur ne l'entend pas ainsi. Ne vous inquiétez pas. Nous allons chercher, nous en trouverons un qui voudra bien vous assurer pour le prêt". Pas d'assurance. Pas de prêt. Pas de maison. Dépit.
Et colère immense d'être ainsi mise au rebut pour un cancer vaincu 7 ans plus tôt. Vous êtes guérie oui. Mais on se charge de vous rappeler que vous êtes malade. Éternellement. Et on vous punit pour ça. Oui car quelques semaines plus tard, ils ont rappelé. Ils avaient trouvé un autre assureur, enfin. Cela n'avait pas été simple. Et ce "bon samaritain" acceptait de me couvrir... À un taux deux fois supérieur à celui des "gens normaux". Pas d'assurance. Pas de prêt. Pas de maison. Nous avons accepté de payer le double, bien obligés.
8 ans plus tard, nous avons revendu la maison.
J'étais bien en vie.
Et mon assureur s'était bien enrichi.
Pourquoi je vous raconte tout ça ?
Parce que la semaine dernière, j'ai revécu l'histoire. J'ai voulu me renseigner sur une assurance décès-invalidité. Oh je n'y croyais pas beaucoup, va. Mais j'ai essayé quand même. Motivée par l'envie, la nécessité, de laisser quelque chose aux miens, après moi. Assise dans le bureau de l'assureur, je retourne le formulaire de souscription :
Formalités médicales :
(nous y voilà...)
Chacun d'entre nous, individuellement, déclare être âgé(e) de moins de 56 ans... blablabla... et répondre de façon complète et sincères aux conditions d'admission suivantes :
1- Ne pas être en arrêt de travail pour maladie
(Ah ben stop. A y est. Recalée)
2- Ne pas être atteint(e) d'un handicap, ou d'une invalidité et d'une incapacité reconnue par un organisme de protection sociale ou d'assurance.
(Ça non, pas encore)
3- À ce jour et au cours de 5 dernières années :
- Ne pas avoir été contraint(e) de cesser toutes activités, pour maladie pendant au moins 3 semaines consécutives,
(Re stop)
- Ni hospitalisé(e),
(Stoooooooop)
même en hospitalisation de jour, sauf maternité,
(Aaah ouf : on peut encore faire des bébés)
amygdales, appendicite, chirurgie esthétique ou réparatrice des os, des tendons, des muscles, des oreilles, des yeux, des dents.
(Il reste quoi du coup ?)
- Ne pas nécessiter, ou avoir nécessité, la prescription d'un traitement médicamenteux pendant au moins 3 semaines consécutives,
(Bon, beeeeen, restop alors)
un traitement de chimiothérapie ou radiothérapie
(Làààà, on y est, au moins, on ne tourne plus autour du pot)
4- Dans les 12 prochains mois, ne pas devoir : subir d'examen médical, suivre un traitement médical, être hospitalisée même en hospitalisation de jour, ni être opérée.
(On a bien tout couvert : le passé, le présent, le futur. Pas de risque qu'il nous coûte un centime cet assuré !)
Toute fausse déclaration de l'un ou de l'autre des adhérents-assurés, intentionnelle ou non, de nature à atténuer l'appréciation du risque entraine la nullité de l'assurance ou la réduction des garanties dans les conditions prévues... blablabla.
Que voulez vous que j'atténue franchement ? Je suis fichée rouge écarlate depuis le "petit un" du formulaire. Pourtant je vis. Je ne sais pas pour combien de temps. Mais je vis. Et je suis comme la poupée vaudou de la pub Rose Magazine : plus le droit au prêt bancaire, plus de prêt immobilier, plus d'assurance, plus d'évolution professionnelle, plus de recherche d'emploi possible non plus. Je souffre déjà d'être malade. Je dois souffrir en plus, de ce que la société n'évolue pas aussi vite que la médecine qui me fait durer.
Et je ne suis pas la seule : plus d'un cancer sur deux se guérit aujourd'hui.
Et je ne suis pas la plus à plaindre non plus : j'ai pu construire des bases solides avant de tomber malade. Certaines ne sont pas armées pour subir le regard parfois cruel des autres. Certaines doivent aussi subir la précarité.
Bref, il y a encore de bons gros progrès à faire pour que la vie, après ou avec la maladie, soit à la hauteur des efforts que nous faisons pour la conserver.