20 Août 2014
Eh bien, c'est tout comme je l'avais dit : 3 essais pour l'injection.
Sophie la manipulatrice renonce après la deuxième. "Ch'uis désolée" qu'elle répète. Pas tant que moi, je réponds dans ma tête. "Je vais demander à une collègue de prendre le relai". Oui, c'est mieux comme ça Sophie. Elle repousse la seringue métallique sur la table, jette ses gants de latex bleu dans la poubelle, puis elle sort de la cabine en appelant Cécile à gauche. Cécile à Droite. Elle passe et repasse dans le couloir. Recherche Cécile désespérément.
C'est finalement Nadia qui arrive. Elle doit avoir la pression Nadia. En même temps, elle affiche l'air calme de celle qui a l'habitude de gérer les situations tendues. "Alors, c'est vous qu'on n'arrive pas à piquer ?" J'explique le calvaire. "On va y arriver. C'est pas grave..." Nadia se reprend aussitôt : "Enfin si, c'est embêtant pour vous". Je ne te le fais pas dire Nadia. C'est même très fâcheux. Je suis fâchée tout à fait d'ailleurs. J'enrage. J'en pleure tiens ! Quand on foire le premier coup avec moi, faut arrêter tu comprends Nadia, faut reconnaitre qu'on va pas y arriver et passer la main tout de suite à quelqu'un de plus expérimenté. La dernière fois, c'est un anesthésiste qu'il a fallu faire descendre du bloc pour me piquer. Alors tu vois Nadia, c'est pas du chiqué. Mes veines sont fatiguées de tout ce qu'elles ont pris dans la cafetière depuis 1996 que ça dure ces histoires... Et moi aussi, je suis . Nadia avise une petite veine entre les 2 phalanges de ma main gauche. C'est pas du premier choix. Elle n'a pas le choix de toutes façons. Je me garde bien de la déconcentrer. Je ne parle plus. Je regarde ailleurs. Je retiens mon souffle... Non, faut que je souffle au contraire. Bon, je souffle alors. Nadia pique. Silence. Des secondes qui me paraissent interminables. Elle injecte. VICTOIRE !
Je peux rejoindre la salle d'attente pour ma quarantaine de 3 heures. Ca aussi, c'est comme je l'avais dit. Pas le droit de sortir cette fois encore. Je choisis la salle d'attente pédiatrique. Elle est pas folichonne. Mais il y a un peu plus de vie que dans l'autre, des poissons colorés au mur, des jeux de société comme dans la chambre des 2 petits hommes. Mes petits hommes... Je les embrasse sur la photo d'eux que je trimballe pour ces sales journées. Je pense à mon mari marin pêcheur pêchant la crevette au large du Pouliguen. J'envoie un message à Maman-douce. Elle me raconte l'accrobranche avec les petits hommes dans les Pyrénées. François Hollande se tartine la panse d'huile solaire indice 30 à Plan de Campagne, Jay Z et Beyonce vont divorcer parce que décidément, Jay Z est trop volage, Leonardo Di Caprio snobe Justin Bieber en boite à Los Angeles. Et je dois changer de place parce qu'une grosse dame platrée du bras gauche veut regarder les Feux de l'Amour. Je lui cède mon fauteuil de skaï rouge pile poil devant le poste de télé et vais m'asseoir dans la salle d'attente d'en face. Je me retrouve face à une autre dame pas grosse du tout, elle et pas bien gaie. Je lui dis un bonjour poli, mais pas trop souriant quand même. Pas envie de faire causette. Je sens que si elle me parle, cette dame pas bien gaie, sa conversation ne sera pas bien gaie non plus. Mince, elle me parle : "c'est pas drôle hein, quand on bascule comme ça dans la maladie". Pffffffffffff... Qu'est ce que j'avais dit.
Maintenant, je vais te raconter les nouvelles pas ordinaires. Les "new news", comme ils disent, les américains.
La première, c'est que Super Mario est barbu ! Si ! Il a décidé de conserver la barbe de ses vacances. Super Mario avec une barbe.
Ensuite, Super Mario m'apprend qu'il a suggéré mon nom pour une conférence à Paris en novembre. Sur le cancer du sein métastatique. "Vous connaisez le cancer, vous savez ce que c'est, ce que ça veut dire, vous saurez en parler, vous avez ce blog..." Il me demande si je serais d'accord. Moi je dis oui, avec plaisir. C'est bien ce nouveau projet !
Pour finir et "en fait", selon l'expression chouchoute du tout petit homme, Super Mario a commencé par cette nouvelle là : rien à signaler sur les derniers examens. Rémission complète. "Et on est à 2 ans là, non ?" il me demande en cherchant l'info sur son écran. Presque. Un an et demi. Cet hiver, pour le nouvel an, je serai à 2 ans de "survie" après la dernière chimiothérapie. Je lui demande des nouvelles de cette patiente dont il m'a parlé pour me remonter, une de ces fois où je ne croyais pas à ma longévité, cette patiente qui dure, depuis combien de temps déjà ? 10 ans. 10 ans... C'est que je peux tenir 10 ans moi aussi, peut-être. La calculette se remet en marche. 10 ans, ça m'amène jusqu'en... Voyons... Depuis janvier 2013, ça fait 2023. J'aurais 54 ans. Le petit Homme 19. Et le tout petit Homme 16. C'est pas bien vieux... Mais je prends quand même ! Super Mario me ramène au présent : "On va pouvoir passer à un suivi tous les 6 mois". Ah. "On va se revoir le 26 février". D'accord. "Bienvenue dans le club des 6 mois !" Il sourit. Moi aussi : je suis une grenade dont la goupille tient bon.