5 Mai 2017
Ce matin, je vais voter pour toi.
Je te le dis pour que les choses soient bien claires. Et aussi peut-être, pour te mettre à l'aise, dans les meilleures dispositions pour lire et retenir ce que j'ai à t'écrire.
J'ai lu, relu ton programme. Je t'ai écouté mercredi... Comme j'ai pu, parce qu'avec l'autre azimutée du bocal et du coeur, ça n'a pas été du gâteau de comprendre. J'ai apprécié que tu utilises ta carte blanche en fin d'émission pour t'adresser aux handicapés et à ceux qui les accompagnent. Peut-être était-ce un peu pour avoir nos voix : à nous tous, on est un sacré paquet d'électeurs, pas vrai ? Mais bon, tu l'as fait. Je vais me dire que c'était sincère. Au fond, tu es un bon garçon. Je crois. Avec tous ces politiques poltrons, cupides et très cons parfois, on ne croit plus personne sur parole. On attend de voir. J'attends de voir ce que tu vas faire pour les malades et leurs familles lorsque, comme je l'espère, tu seras notre président. Pour que tu ne fasses pas trop de bêtises quand même, je vais te raconter un peu de mon histoire et les 2 ou 3 "bricoles" qui m'ont donné des envies de meurtres quand je me les suis coltinées. Ce serait bien que tu y fasses quelque chose, tu vois. Si tu veux pas que je finisse par tuer pour de bon (là, je précise que c'est pour rire :)
- petit 1 -
Je ne lui jette pas la pierre : elle fait bien ce qu'elle peut dans le cadre imposé. Mais Emmanuel, fais quelque chose parce que, pour ce que j'en ai vu, ces pauvres médecins du travail ne servent qu'à tamponner un papier d'aptitude pour que les entreprises soient dans les clous.
Tu as vu comment elles se passent les visites médicales du travail ? Tu as vu ? On te colle un rendez-vous qui tombe toujours mal parce que tu as le projet machin-chose à boucler, la recommandation bidule à rédiger, truc-muche à rencontrer... Tu pestes parce que tu sais que cette visite ne sert à rien : tu diras pas que t'en peux plus. Que ton boss est un pervers narcissique. Tu mentiras sur tes heures de sommeil, le nombre de cigarettes fumées, les chips devant la télé. Tu diras rien au docteur. Tu lui diras que tout va bien. Parce que tu sais que le docteur et les RH se causent un peu. Faudrait pas que ton image de winner en prenne un coup. Et puis elle rime à quoi cette médecine de dispensaire du 19ème : on te fait faire pipi dans un verre, on te pèse, on te mesure, on te fait lire les lettres sur le mur... La belle affaire ! Tu vas rire Emmanuel : En 96, j'avais 27 ans, je suis ressortie de l'une de ces visites avec mon papier jaune et son tampon rouge, "Apte". Le lendemain, tu entends Emmanuel ? Le lendemain ! Je ne respirais plus sans me faire un mal de chien. 18 mois d'arrêt. Chimiothérapie. Radiothérapie. Lymphome non hodgkinien du médiastin.
Alors soit on les équipe et on les forme ces médecins, pour qu'ils aient de quoi servir à quelque chose. Soit on leur demande de se rendre utiles ailleurs... Parce qu'on a besoin de médecins ailleurs en plus, je t'en parle juste après.
- petit 2 -
Avant de quitter Paris pour la nouvelle vie de maintenant, je ne me rendais pas du tout compte de ce problème pourtant patenté ! Je faisais soigner mon cancer du néné à Gustave Roussy. De A à Z : chimio, chirurgie, rayons, examens, scanners, kiné post opératoire, psy pour te requinquer après l'amputation, soins anti douleur divers et variés... Sous la main, toute la palette des pros dans leurs domaines. La Rolls.
Depuis, au Croisic, la vie est chouette au bord de l'océan ! Je regrette en rien le déménagement. Mais pour soigner ma récidive et les métastases ici... C'est assez coton. Bien sûr, Nantes n'est qu'à 1H15. Bien sûr, l'ICO est un centre anti cancer de renom et Super Mario est extra (c'est mon oncologue depuis 5 ans, presque, que je tiens bon, lis ça si tu peux). Mais dès que je rentre sur ma côte Atlantique, dans ma ville de 4000 habitants, ben tu peux te brosser Emmanuel, pour trouver un kiné qui sait ce que c'est que l'opération du grand dorsal (un scandale cette reconstruction, je te le dis au passage). Tu peux te brosser fort pour trouver un pédo-psychiatre, un onco-psychologue, un gynécologue habitué des séquelles de l'ablation des ovaires et des traitements anti cancer. C'est le grand désert médical ! Et quand par miracle, tu tombes sur l'oasis, le médecin spécialiste dont tu as besoin, ben tu te rends vite compte que le gars est à côté de la plaque, parce que le cancer, lui... Il connait pas. Pour reprendre mon image de voiture du début, c'est comme si t'avais toujours ta Rolls, mais avec une remorque premier prix aux fesses.
Faudrait au moins que les centre anti-cancer des grandes villes organisent les relais vers les agglomérations périphériques. Pourquoi ils se parlent pas les spécialistes des centres et les médecins de ville ? Pourquoi les uns ne forment-ils pas les autres ? Et comme on n'aura jamais des maisons de santé dans tous les petits coins de France, est-ce-qu'on peut pas au moins, avec les technologies d'aujourd'hui, imaginer des plateformes internet où les patients pourraient échanger immédiatement avec un médecin en cas de besoin urgent ?
- petit 3 -
Ce sujet là, il va te plaire Emmanuel. Toi qui veux une France conquérante et fière et courageuse et travailleuse. J'ai voulu me remettre au travail figure toi. Eh ben l'administration m'a dit non. Je t'explique ?
En 2014, j'apprends que les métastases se sont toutes carapatées. Inespéré. Une sacrée veine que je savoure, crois moi, parce que c'est pas si souvent que ça arrive quand on a ce que j'ai. Je me sens l'énergie de me remettre au travail. Pas le travail d'autrefois hein. Le travail de fada. Non. Mais un travail qui me plait aussi, un travail que je peux faire ici, chez moi, quand la maladie me laisse du répit. Je me dis que je peux rester dans la communication, plus dans la stratégie amont, plus dans la conception, mais dans l'exécution. Je vais apprendre le graphisme. Je sais que j'ai 120 heures de DIF. Tu dois connaître ça, le DIF. Le Droit Individuel à la Formation. Ces heures accumulées pour me former du temps où je travaillais dur. Ces heures qui suivent le salarié partout, même en changeant d'employeur. J'ai voulu les mettre à profit pour me former au graphisme. Eh ben que pouic Emmanuel ! Et tu sais pourquoi ? Parce qu'avec mon statut d'handicapée, je n'ai pas le droit de les utiliser. Il faut être au chômage, inscrit à Pôle Emploi pour pouvoir les débloquer. Ben mince alors, elle est bien bonne : t'es là, replète d'enthousiasme, prête à te remettre en selle et t'es même pas montée sur ton cheval qu'on te claque la porte du box sur le museau.
Il est grand temps que tu nous décadenasses l'accès à la formation et au travail Emmanuel !
- petit 4 et ce sera le dernier -
Te trompe pas sur mes intentions ici, attôtion !
Je jette pas tout ce qui a été fait jusque là. Je salue même un progrès certain, puisque quelques courageux se sont attaqués au problème. Mais ils ont pris le sujet par le mauvais bout Emmanuel. Et comme tu t'apprêtes à renchérir, faut que je t'arrête avant la boulette.
Tu dis que tu veux ramener le droit à l'oubli de 10 à 5 ans. C'est parfaitement louable... Mais parfaitement hors sujet : 5 ans, c'est déjà ce qu'il faut attendre aujourd'hui quand on a eu son cancer avant 18 ans. 5 ans d'attente demain pour tous les autres, c'est encore trop. Et puis il y a tous les laissés pour compte, les métastasés dont la médecine prolonge la vie, sans qu'ils aient pour autant le droit de la vivre vraiment. Pour ceux là, pour moi en tous cas, cette grille là, la grille qui règle les conditions d'accès à une assurance par pathologie, elle ne passe pas :
Autrement dit, celle qui a eu "le bol" de décrocher un carcinome in situ pour son cancer du néné, au bout d'1 an, elle a déjà le droit de le dire à personne quand elle va emprunter. Bon. Tant mieux pour elle. Mais primo, elle et son groupe de "veinardes" ne représentent que 25% des cas. Et deuxio, c'est pas répugnant cette échelle du mal et de la mort ? Comment tu le prendrais Emmanuel si t'avais un cancer de la prostate ? Pour toi, du coup, selon la grille, tintin la balayette, t'as vu ? Tu serais pas un brin outré qu'on entérine très officiellement ton décès certain, comparé au copain qui a le cancer dans les noisettes ? Moi, ça me cabre carrément ! D'autant qu'en plus, avec le battage de l'année dernière autour de cette loi lamentable, tout le monde croit dur comme fer que a y est, problème réglé ! De quoi se plaint-on encore puisque le droit à l'oubli est là, allons !
Non Emmanuel, tu vois, le délai, c'est pas le sujet. Le sujet c'est ce qu'on fait, ou plutôt ce qu'on ne fait toujours pas, pour tous les cancers. Pour toutes les femmes, parfois très jeunes comme moi, qui décrochent le pompon avec le cancer qui sera jamais dans la grille. Elle est là, la majorité des malades qu'on empêche de vivre, qu'on prive d'emprunt, d'horizon, de projets ! Il est là aussi et surtout le besoin de légiférer pour empêcher les assureurs de s'engraisser sur le dos de notre santé récalcitrante.
Moi président (rwaf, rwaf :), voilà ce que j'essaierais de faire : plutôt que de rentrer dans le jeu des assureurs sur le degré du risque pour accorder ou pas le droit de vivre normalement, je leur dirais qu'on a tous le droit de vivre normalement ! Quelle que soit la pathologie, quel que soit l'âge auquel elle nous est tombée dessus. Et nous autres les gravement malades, avec tout ce qu'on s'arrache pour rester en vie, on y aurait même un peu plus droit que les autres, tu vois. Donc ils nous prêtent à tous. Ils nous assurent tous. Et sans délai. Ça, c'est déjà la base de la discussion. Après, je veux bien qu'on cause du calibrage de l'assurance en fonction des cancers. On peut accepter la surprime au départ, en fonction de ce qu'on a (dans les limites du raisonnable quand même, hein ?), parce qu'il faut bien admettre qu'ils prennent un petit risque supplémentaire avec certains d'entre nous et qu'il faut bien lâcher une concession : si on casse notre pipe entre temps, eh bien ma foi, ils se seront couverts. Mais à la fin, si on a tenu bon, ILS NOUS RENDENT L'OSEILLE SANS QU'ON AIT À LE RÉCLAMER ! Quand j'ai revendu la maison de Paris pour venir ici par exemple, j'aurais trouvé juste que l'assureur qui s'est enrichi grâce à mon cancer pendant 8 ans, me rembourse spontanément la surprime encaissée pour un risque qui ne s'est finalement pas concrétisé. Il aurait fallu que je m'empêtre dans la paperasse pour l'y contraindre. Je ne l'ai pas fait. Bye bye le blé.
Voilà Emmanuel, j'aurais bien d'autres loups à lever. Mais tu as bien d'autres chats à fouetter. Enfin si tu veux que je te cause aussi de ces traitements anti cancer qu'on arrête parce qu'ils coûtent la peau du derrière ; si tu veux savoir tout ce qu'on dépense en soins de confort, nous dit-on, pour justifier le fait qu'ils ne soient pas pris en charge (pendant ce temps, la sécu rembourse sans ciller 150 euros de patchs par an aux fumeurs, tu étais au courant ?). Si tu veux approfondir les aberrations, les absurdités et les bizarreries, je suis ici. Ah, une dernière chose, une requête, une supplique même, comme je vois que tu as dans l'idée de faire la peau aux pesticides et au parabène : fais nous le très grand ménage chez ces industriels cyniques qui nous empoisonnent. Ne nous déçois pas comme les autres sur l'environnement Emmanuel. Merci.