21 Mars 2019
Voyager avec son cancer avancé, c'est possible.
Pas simple, simple, mais possible.
Je veux t'en parler parce que je me rends bien compte que la publication des photos de mes dernières aventures sur le "bouc de face", a titillé les envies et réveillé les questionnements. Je voudrais bien, mais c'est compliqué. Je ne m'en sens pas capable. Avec les chimios toutes les semaines, c'est coton. Comment veux-tu que je marche jusqu'à Tataouine avec mes pieds esquintés par les traitements. Ecétéra, écétéra... Je m'en vais donc te conter comment je m'y prends moi. C'est pas la méthode universelle, m'enfin c'est la mienne et peut-être y trouveras-tu quelques bricoles bien commodes, qui sait ?
Pour commencer, il faut partir équipé(e). Le premier accessoire indispensable s'appelle :
Elle s'appelle aujourd'hui CMI - Carte Mobilité Inclusion. Dans sa version "minimale", pour les personnes présentant un handicap inférieur à 80%, elle s'appelle CMI Priorité. Elle te permettra de demander l'accompagnement PMR - Personnes à Mobilité Réduite, aux compagnies de vol. Pas d'attente debout pour enregistrer. Prioritaire tu es ! Salon exprès pour toi avant l'embarquement. Chaise roulante avec chauffeur qui te conduira jusqu'à l'avion avant tous les autres. Et rebelote à l'arrivée.
Autre facilité salutaire pour les carcasses esquintées : le coupe file... Même à l'étranger où cette carte ne signifie rien, j'ai constaté qu'elle produisait son effet sésame : à New York en octobre dernier, 2 heures de queue debout à Battery Park pour atteindre le ferry qui devait nous amener à Liberty Island. Je repère un cop* à casquette replet, lui présente ma carte d'invalidité bien française et explique :
" Hello sir, I am disabled, I can't stay up for a long period. Is there a way I coud skip the line and go straight to the ferry please ? " **
Sourire implorant que tu ne vois pas, pour accompagner le speech ; aussi je te le dis, je souris et mon regard implore.
Contre toute attente, le cop casquété et très serré de la ceinture me répond "sure, follow me" *** :D Et nous voilà assis dans le ferry en deux temps trois, très nombreux mouvements quand même, car l'embarcadère n'est pas tout près. Même scénario au Musée d'Histoire Naturelle, au One World Trade Center Memorial et à Capri un peu avant en Septembre, pour le téléphérique du Mont Solaro. Bon, au Japon en revanche, ma carte d'invalidité, ils s'en badigeonnent au wasabi. Comme ils sont organisés et respectueux les Nippons, jamais cela ne m'a gênée cela dit. Les files d'attente s'écoulent, fluides et rapides, sans qu'aucun ne resquille. Les jeunes te cèdent d'office la place dans le métro. Je sais. C'est insensé. Les jeunes se lèvent et offrent leur siège aux ainés. Rien que de l'écrire, sonnée je suis encore par la mansuétude respectueuse du Nippon juvénile, irrémédiablement perdue en revanche, chez l'espèce latine, impatiente et prompte à la castagne. Bref, à l'étranger, ne rechigne pas à dégainer ta carte française, ça peut aider considérablement.
* Policier
** Bonjour monsieur, je suis handicapée, je ne peux pas rester longtemps debout. Y aurait-il un moyen pour moi d'éviter la queue et d'aller directement au ferry s'il vous plaît ?
*** Bien-sûr, suivez-moi
Le matériel qui va bien, va de l'indispensable indiscutable à l'accessoire, pas si accessoire que ça au fond. Explications :
L'indispensable indiscutable, c'est bien sûr l'intégralité des traitements nécessaires pour toute la durée du séjour, voire plus histoire de pas manquer. Ne jamais, jamais les mettre en soute, des fois qu'un bagagiste étourdi te les envoie à Tombouctou. Les traitements, dans le bagage à main donc et cela suppose que tu aies avec toi les ordonnances correspondantes. Pour les crèmes hydratantes et autres nécessités dépassant la barre réglementaire des 100ml, prévois une lettre de ton oncologue qui expliquera pourquoi il est essentiel dans ton cas, de les avoir en cabine. J'ai aussi toujours sur moi un courrier résumant ma pathologie, mes traitements et leur posologie. En cas de pépin sur place, ça peut servir. Un de ces 4, je la ferai traduire en anglais. C'est tout de même plus commode pour l'autochtone étranger.
En Europe, la carte européenne d'assurance maladie te permet d'être remboursé(e) des soins reçus en vacances. Fais-en la demande sur ton compte Amélie, 15 bons jours avant le départ. En dehors de l'Europe, les soins médicaux peuvent bénéficier d'un remboursement, s'ils sont urgents et à condition d'avoir conservé tous les justificatifs. Au retour, il te faudra les envoyer au médecin conseil de ta caisse d'assurance maladie avec le formulaire S3125.
Autre accessoire essentiel pour finir sur le sujet : ce truc que j'enfile en cas d'aplasie. Pas très sexy, je te le concède. Mais renàfoute ! Je préfère ma tête de canard à la contamination.
Pour revenir sur les moeurs civilisés du citoyen japonais, quand tu le vois avec un masque sur le museau, c'est pas qu'il craigne la pollution, ni les microbes. Il ne se protège pas des autres, il protège les autres ! Il est lui même malade. Il se couvre le nez et la bouche pour ne pas contaminer son prochain. Le jour où l'on verra le parisien se soucier de la santé de son voisin, les poules danseront le tamouré et je guérirai de mon cancer métastasé ! Alors en attendant, le masque, c'est moi qui me le mets.
L'indispensable accessoire c'est tout ce à quoi tu peux penser pour ton confort. Pour moi, c'est par exemple le fameux sac-à-dos-tabouret :
N'importe quelle enseigne de sport vend le sac à dos-tabouret au rayon pêche. Tu peux même te trouver le tabouret grand luxe avec accoudoir et porte canette (le pêcheur se bichonne) ! M'enfin, c'est plus tarabusté à porter. À propos, avant d'investir, prends la peine d'essayer de te le mettre aux épaules en version sac à dos. Parce que les pieds métalliques de certains modèles appuient fâcheusement sur les vertèbres (le pêcheur ne pense pas à tout).
J'ai aussi investi une trentaine d'euros dans un très confortable coussin de voyage. Bien épais, bien haut, à mémoire de forme, il soutient efficacement la nuque. Rien à voir avec ces tours de cou d'aéroport mou de la bille ! Ainsi, chaque trajet, avion, train, bus, peut-être mis à profit pour récupérer. Nous en arrivons au point suivant et quasi final :
Voyager avec son cancer c'est possible. Mais tu te doutes bien que ça ne peut plus être le road trip, ni la crapahute de tes années saines. J'ai eu tendance à l'oublier au départ : vite ! vite ! vite ! visite ! visite ! visite ! Je vais pas revenir de sitôt. Vais p'têt' même pas revenir du tout, alors à fond ! à fond ! à fond ! Ben non. Pas à fond. D'ailleurs à Manhattan en octobre dernier, mes pieds fissurés-flambés (je découvrais le syndrome main-pied après 3 mois de Xéloda) me l'ont rappelé dès le 2ème jour. La veille, les petits hommes et moi avions marché généreusement : midtown, Rockefeller district, Saint Patrick cathedral, lower Manhattan, One World Trade Center and Memorial, Brooklyn bridge, 1.825 km le pépère tout de même... Le retour au Riu Hotel Plazza de Time Square sur la 46ème fut... Fastidieux. Douloureux. Démarche pingouine bien à plat sur les plantes de pieds, encadrée par les petits hommes en soutien. Arpions en feu = vacances parties en fumée ! Je leur cachais mon désarroi. Retrait précautionneux des chaussettes dans la chambre et là... les dites plantes étaient rouges comme le homard breton après cuisson. Crémage et tartinage en couche épaisse, "cogitage". Mince, vais jamais pouvoir assurer le programme initial moi. Qu'est ce qu'on avait demain voyons... Central Park, 341 hectares ! Gulp. À pinces, c'est proprement illusoire. Vite, recherche du plan B sur Guides et Gougueule. Et voilà la solution :
Central Park en pousse-pousse ! Au poil : Une heure de balade tranquille au chaud sous le plaid, les deux pieds au repos, posés sur la tranche des semelles : rien ne doit peser sur les plantes-homard cuit.
Quelques jours plus tard à Ellis Island, parce qu'à nouveau je rotissais des ripatons, je n'ai pas hésité, j'ai demandé un fauteuil roulant à l'accueil du musée de l'immigration. Comme dans la fable, je m'y trouvais fort aise : repos du peton certes, mais aussi que d'espace pour ma micro carcasse ! La wheel chair US taille triple XL ! Obligée de croiser les jambes sur l'un des deux cale pieds : les poser de part et d'autres revenait à écarter considérablement les gambettes, dans une posture sans équivoque. Regarde plutôt :
Bien, tout ça pour dire que le programme des vacances doit être léger-léger, laisser la part belle à la glande salvatrice et s'adapter aux aléas de nos corps grignotés.
Épineux dilemne du malade...
Coincé dans l'équation complexe des sous à sortir, sans savoir s'il va pouvoir assurer le voyage... L'équation à forte inconnue m'a longtemps figée dans l'inaction. Et puis, les résultats sinistres du scanner de février 2018. Le foie atteint. Le foie, c'était sacré. Fallait pas y toucher. C'est parce qu'il a perdu son foie, mangé par les métastase du mélanome que mon ami cher a perdu la vie. À 42 ans. Le foie atteint en début d'année dernière, ce fut l'étincelle. Lumière faite sur l'essentiel : vivre maintenant parce que demain... Demain est incertain. Alors au diable l'argent ! Je prends le risque, je me lance, je réserve et Inchallah !
Risque calculé quand même :
Marrakech droit devant en ce qui me concerne. Entre les 2 premières cures d'Halaven, je m'envole à Pâques avec les petits hommes. Je continue de leur transmettre tout ce que je peux, tant que je peux. Et s'il y a bien un virus que je veux leur refiler sans vergogne, c'est celui du voyage et de la découverte !