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Les crabes dansent au Croisic

Je ne guérirai pas, mais je vis gaillardement (la plupart du temps) : FAUT PAS GÂCHER !

La chimio

La chimio

Chimio.

Il file les pétoches  ce mot. Propulsé dans l'imaginaire collectif, au sommet de l'organigramme du département "thérapies", service "destruction de masse" .  Si t'es sous chimio, c'est que c'est du costaud. À situation menaçante, solution surpuissante. Fini de rigoler les salopiotes, ça va saigner ; et toi qui vas profiter de la prestation de nettoyage, tu vas dérouiller. 

Bon.
C'est un tantinet exagéré.
Quoique.

Le mieux, c'est que je te décortique le sujet. Tu te feras bien ton idée : 

La chimiothérapie, c'est quoi ?

C'est de la chimie.
Qui traite.
Imagine des Merlin l'Enchanteur bien dotés du ciboulot qui cogitent. Ils s'échinent à saisir ce qui dans la structure des molécules, est responsable de leur activité. Quand ils ont tout bien compris de la relation chimie-thérapie, ils ajoutent ci, enlèvent ça. Ils te mitonnent la super powerful molécule pour trucider le cancer sans trop te trucider toi.

Chimio 100% produits de synthèse ou chimio à base d'extraits végétaux comme les taxanes, conçus à partir de l'If de l'ouest. Son écorce pour le Taxol, ses aiguilles pour son concurrent français le Taxotère. Si tu te farcis un cancer du sein récidiviste, tu as dû te les farcir tous les deux comme moi. 

Trois ou quatre notions élémentaires :

1- Toutes les chimios ont les mêmes objectifs : détruire les cellules ou les empêcher de se multiplier.

2- Il n'y a pas un cancer, mais des cancers. Et tant qu'on y est, il n'y a même pas un cancer du sein, mais des cancers du sein. Alors tu vois l'étendue du bazar. En conséquence, tu te doutent bien qu'il n'y a pas une chimio, mais des chimios. Plein, plein, plein. Chacune a son mode opératoire : les anthracyclines modifient l'ADN cellulaire, le Cyclophosphamide provoque des lésions entre les brins d'ADN, le Méthotrexate, ou la Capécitabine que j'ai eu le bonheur de découvrir en 2018, empêche une étape clé de la multiplication cellulaire...

3- Il n'est pas rare, en particulier quand le torchon brûle sévère,  qu'on te concocte un petit mélange de derrière les fagots - on parle alors de polychimiothérapie, histoire que ton cancer déguste pleinement les subtilités de la cuisine ontologique. En 1996 par exemple, mon lymphome médiastinal de 9 cm, qui avait déjà entamé le boulottage de la plèvre et du poumon avant qu'on le débusque, a pu apprécier le menu ACVBP - Adriblastine, Cyclophosphamide, Vindésine, Bléomycine et une bonne dose de Prednisone pour anti inflammer. Juste après, 2 bonnes rasades de Méthotrexate pour consolider comme ils disent, puis 4 tournées d' Ifosfamide et Vépéside à la conclusion. Avec ça, j'étais  imbibée abimée pour un moment.  

4- Fâcheusement en effet, la chimiothérapie ne fait nulle différence entre la cellule cancéreuse et la cellule saine. C'est de là, de ses effets indésirables - et non secondaires, car ils ne le sont pas, secondaires, que la chimiothérapie tire sans aucun doute sa sale réputation. Boule à zéro, vomito, ramollo... La renommée du tableau standard te vaut les têtes contrites et pétrites de compassion lorsque tu annonces ton protocole chimiothérapique. Pourtant, ami empathique, tu ne sais pas tout des joyeusetés, moins connues, de la chimiothérapie.

Approfondissements

Imagine la perte du goût, le dégoût du coup, la langue blanche, épaisse et large qui prend toute la place, les crevasses des mains et des pieds, la peau des doigts scalpée, partant parfois par plaque au simple contact du papier de l'enveloppe que tu as voulu fermer,  les paumes et les plantes rouges carmin, flambées, supplice du moindre pas, le cuir si épais entre le pouce et l'index que même écrire devient douloureux, les fourmillements insidieux, les démangeaisons furieuses, les irritations des yeux, trop secs, ou trop humides au contraire, Kleenex, sans cesse, essuyer les yeux larmoyants, la vue revue et corrigée : tout d'un coup en ligne de mire, kaléidoscope noir et blanc, précurseur généralement d'une bonne grosse céphalée, les commissures des lèvres fendues, les plaies dans le nez, sérum physiologique dedans, humidifier tout le temps, la bouche envahie de mucites, la gorge aussi, aaaah les aphtes... Si nombreux que même la bouillie des petits pots pour bébé ne passe pas... Pas plus que les cacas de la bouillie des petits pots pour bébé d'ailleurs, rapport aux hémorroïdes qui te fleurissent généreusement l'anus... D'autant que certaines chimios te fabriquent des crottes outrancières ! Trafiquées, tellement c'est pas humain des crottes pareilles ! Des sphères bien compactes, bien dures, diamètre démesuré, mathématiquement incompatible avec celui de la sortie dont tu es naturellement pourvue. Aïe. Subitement, la même chimio peut se révéler laxative. Très laxative. La constipation est presque un soulagement quand elle te tombe dessus. Enfin, sauf quand elle dure une semaine. Quand elle dure une semaine, tu la sens passer aussi. Bref. Les chimios chamboulent tout.

Cela dit, les avaries les plus sévères s'avèrent invisibles : dans le sang, les leucocytes se font rincer le cytoplasme jusqu'au noyau. Pour rester médicalement correcte, c'est plutôt la moelle osseuse, la grande fabrique à globules, qui débraye : OK, tu m'envoies la chimio ? J'arrête de bosser ! Plus de globules ! Aplasie ! 

  • Plus de globules rouges, c'est l'anémie et la fatigue.
  • Plus de plaquettes, c'est la thrombopénie et le risque hémorragique.
  • Plus de globules blancs, c'est la leucopénie. Sous chimio, on te surveille plus étroitement les neutrophiles, parce que la neutropénie, c'est ton système immunitaire qui mollit.  

La bonne nouvelle malgré tout, c'est que sauf sinistre colossal, l'interruption du traitement et le report de la chimio calme la vindicte de la moelle en grève.  Quand elle reprend le boulot, les globules déboulent, les niveaux reviennent rapidement à la normale ou pas loin. Si la moelle fourbue ne fournit pas, on lui envoie du renfort : injection sous cutanée de facteurs de croissance. Ou comme moi, lors de mes tout débuts polychimiothérapiques à doses de cheval, transfusion sanguine pour éviter le choc sceptique.

Les dégâts causés au coeur par les anthracyclines en revanche, sont irréversibles : les cellules du myocarde n'ont pas cette capacité de renouvellement. Depuis l'Adriblastine de 1996, mon coeur est surveillé au gré des arythmies subies, souvent déclenchées par les chimiothérapies qui ont suivi. Les taxanes, Taxotère, Taxol, l'Endoxan, le 5-Fu de la Capécitabine... Je tachycarde fréquemment. J'électrocardiogramme, je teste à l'effort, j'échographe, je scintigraphe en conséquence. 

Cela dit, depuis 20 ans que je traine mes cancers divers dans divers centres, je peux te dire que la chimiothérapie et ses protocoles sont en très net progrès : jamais depuis le fameux ACVBP, je n'ai ressenti la pesanteur éléphantesque, cette lassitude incommensurable, indescriptible qui t'enfonce et t'enfouit dans le matelas à peine rentrée de l'hôpital. Je n'ai plus jamais demandé précipitamment à un pharmacien, les toilettes de son officine pour y vomir la mixture injectée une heure plus tôt. Plus jamais une infirmière ne me tend  préventivement le fameux "haricot", cette écuelle à la forme évocatrice qui accueillait mes nausées instantanées, alors qu'elle ouvrait le robinet de la tubulure et la voie vers ma veine. Jamais plus mes veines esquintées n'ont eu à subir la souffrance atroce de 6 tentatives de pose du cathéter. Jamais je n'ai revécu l'horreur du sous sol jaune pâle et fané, sans fenêtre véritable et cette odeur de maladie... Ce mélange infâme du latex médical, de la bétadine jaune, des mauvais plateaux repas et des exhalaisons chaudes des WC. Le traumatisme de l'époque était tel qu'il m'a sauté à la figure 7 ou 8 ans plus tard, alors que je grimpais, impavide, les marches de la clinique de Meudon pour une visite. La même puanteur ! La même ! Pour la première fois, j'ai perdu le contrôle de mon corps. Brusquement, il a fait demi tour, dévalé les escaliers, poussé les portes de la sortie et s'est appuyé sur le premier mur pour respirer à grandes lampées l'air de la vie du dehors. J'ai compris ce jour là l'ampleur de la plaie vécue en 1996. J'ai compris que je devrais faire avec son souvenir.  

Oui, aujourd'hui, les chimiothérapies sont moins traumatisantes pour les corps, les têtes et les coeurs.  L'arrivée des thérapies ciblées, du PAC, mais aussi plus d'attention donnée au malade et à sa douleur. Plus d'humanité. Restent à rectifier  

Les menues erreurs de l'entourage non averti qui escagassent à la longue

1- C'est pas parce qu'on n'est pas sous chimio, qu'on est au club Med : il est des protocoles qui n'ont rien à envier à la chimiothérapie pour leurs effets secondaires. Je ne reviens pas sur mes déboires avec Afinitor. Mon cortex cérébral les a imprimés à l'encre indélébile.  D'autre part, quand ton cancer a métastasé, que te voilà embarquée dans une cohabitation éternelle, il est inévitable d'alterner, voire cumuler les protocoles : hormonothérapies, thérapies ciblées, chimiothérapies, radiothérapie ciblée pour une métastase qui s'allume sur la tête du fémur... Super Mario et moi, on est bien obligé de s'adapter, de changer, d'essayer, d'abandonner, de tenter autre chose encore... Bref, chimio ou pas, c'est pas des vacances ni pour lui, ni pour moi ! 

2- Une chimio orale n'est pas moins lourde qu'une chimio intra-veineuse. Que nenni ! Croque ta Capécitabine quotidienne et on en recause. Déjà, le traitement impose une prise de sang préalable pour valider que tu as en suffisance, l'enzyme pour l'éliminer. Sans elle, tu pourrais y rester. Ensuite, mon cortex cérébral a ressorti son encre tenace pour inscrire mes crises tétraplégiques et les 10 jours d'hospitalisation qui ont suivi au CHU de Nantes. Orale, intra-veineuse, intra-musculaire ou carrément injectée au coeur de la tumeur, la chimiothérapie reste de la chimiothérapie ! Elle dézingue tout. C'est simplement la méthode qui change.

3- Si ton cancer a métastasé, t'es sous traitement À VIE ET SANS PAUSE. Sans traitement et constant, tu peux te soucier de ta place au caveau. Ben oui, ça aussi, je me sens obligée de l'écrire : chaque fois que j'arrive au bout de l'efficacité thérapeutique d'un traitement et que j'en change, on me demande toujours "et cette nouvelle chimio, tu la prends jusqu'à quand ?". Ben tant qu'elle marche et tant que je la supporte à peu près. Je n'ai plus jamais de date de fin moi ! Pour que tu piges, la théorie, la voici :

  • Au démarrage, le protocole de chimio dure entre 3 et 5 mois pour réduire la tumeur avant l'intervention chirurgicale, histoire d'avoir un  morceau moins maousse à extraire. C'est la chimiothérapie néo adjuvante.
  • Après l'ablation, la chimiothérapie adjuvante prends le relais environ 6 mois. Son but est d'éviter les métastases.
  • Quand ton cancer a fait des petits et qu'ils vont voir du pays, la chimiothérapie métastatique est lancée pour au moins 3 mois. C'est le minimum nécessaire pour se faire une idée au scanner des résultats de l'essai.

Le 13 mars 2019, après 3 mois d'Eribuline, les miens étaient satisfaisants. Pas spectaculaires non plus hein, mais suffisamment convaincants pour poursuivre. À défaut d'être détruites, tant que les salopiotes sont au moins contenues, on continue... Jusqu'à ce qu'elles pigent le truc, trouvent la parade et reprennent peinard la partouze cellulaire. Alors Super Mario me proposera une autre chimiothérapie. Et on serrera les mottes bien fort pour que les salopiotes soient sonnées par la nouveauté de la mécanique assassine. Rappelle-toi ce que je t'expliquais au début : chaque chimio a son mode opératoire. Et tant qu'il reste des chimios à dégainer, j'essaie de me convaincre qu'il existe quelque part dans la cartouchière, une douille dont la poudre fera  le carnage espéré. 

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