20 Juin 2013
Bien... (soupir, gros, groooos soupir).
Dur ce matin de faire bonne figure. Je soupçonne, suis sûre de la rechute. Je hais cette sensation de trac dans la poitrine, ces papillons virevoltants dont les ailes me chatouillent le coeur de l'intérieur. Me revoilà à 8 ans, au moment de m'élancer dans le bassin de Papeete pour ma première compétition de natation. Pétrie de peur sur le plot, sans retour en arrière possible.
Demain, je vais revoir Super Mario et repasser un scanner anticipé au centre anti-cancer de Nantes. C'est moi qui ai lancé l'alerte. Et peut importe les images qu'ils vont tirer du scanner. Avec ou sans métastases visibles, je sens moi, que mes poumons sont colonisés encore. J'ai voulu croire aux bonnes nouvelles mercredi dernier : rien sur la radio, ni dans le sang analysé. Sauf que je reconnais tous les symptômes de l'activité tumorale. Ils étaient encore subtiles jusqu'ici. Mais depuis hier, je dois m'interrompre au milieu de mes phrases pour reprendre mon souffle et je tousse le matin au réveil...
Les symptômes priment sur les examens, avec le cancer.
Je le sais maintenant. L'été dernier, mon corps s'est appliqué à masquer l'invasion pendant 6 mois. Pendant 6 mois, cette saloperie de cancer vicieux progressait à couvert. J'allais mal, mon coeur s'emballait, j'étouffais. Mais rien. Echo, radio, scanner, scinti, biopsie bronchique, prise de sang... Examens normaux. J'étais incapable de raconter une histoire aux petits hommes le soir sans suffoquer, je crachais mes poumons chaque matin au réveil dans le lavabo. Mais j'allais bien ! C'est en arrivant au Croisic, qu'un scanner a enfin révélé l'envahisseur. Ses troupes invisibles occupaient mes poumons en long, en large et en travers. Constellation de métastases. Et en prime, "un point suspect" au foie, comme ils disent pudiquement.
C'est pour ça que j'ai peur ce matin. Mais pas d'apprendre le retour de la maladie. Elle est là. Je le sais déjà. Non, j'ai peur de l'ampleur des dommages. J'ai peur de la vigueur de cette nouvelle attaque. J'ai peur que nos armes chimiques soient bien légères pour riposter. J'ai peur de ne plus avoir la combativité.
J'ai toujours pensé jusqu'ici que se soigner d'un cancer n'est pas un combat courageux, mais une nécessité imposée. Je peux sans doute "arrondir mes angles" sur le sujet aujourd'hui. Me voici moins catégorique tout à coup. Je pressens que lorsque le cancer dure, qu'il s'invite par salves successives, quand on croit l'avoir fait reculer suffisamment pour avoir du répit, qu'il ne t'en laisse pas, qu'il revient encore et encore et plus fort... Alors oui, c'est bien un combat. Un sacré combat même, mais un combat contre contre soi même et l'envie de laisser tomber. Car il faut bien du courage oui, pour repartir au front en sachant la bataille perdue d'avance.
C'est là d'ailleurs une autre caractéristique insupportable de cette maladie pernicieuse :
Tu ne maîtrises rien, quoiqu'on te dise pour te motiver :
1- Tu n'as pas choisi d'être là. Tu n'as rien demandé. On te pousse pourtant sur le ring pour prendre les coups dans la figure. Nous en arrivons naturellement au point 2 :
2- Tu n'es pas le plus fort. C'est fâcheux. C'est ainsi. Toi, petit poids plume amateur, tu vas affronter un Mike Tyson très, TRÈS remonté. À moins d'un maousse miracle, je vois pas bien le Mike annoncer qu'il renonce à la castagne pour te gratifier de la victoire par forfait.
3- Tu n'as ni gants, ni coquille. À poil sur le ring pour la baston fiston. Mais c'est une question de volonté va, il faut te battre pour y arriver.
"Il faut vous battre pour y arriver".
Combien de fois ai-je entendu ce mensonge patenté dans la bouche des oncologues. Il faut oser en sortir un aussi gros quand même... Parce que LES PREUVES SONT LA MON GARS ! Il n'y a pas de survivant, d'accord ?! Même Servan Schreiber a fini par y laisser sa peau. Avec panache, 20 ans de combat, bravo. M'enfin le bonhomme EST MORT, MUERTO, DECEASED, DEAD !!
Oui, ce matin, c'est franchement dur. Je suis en colère, dégoutée, dépitée, fébrile, fragile, triste pour les miens, les petits hommes, mon homme-aimé à qui j'ai caché que je pleurais tout à l'heure. Quand il a fait irruption dans la salle de bain pour se coller contre moi, j'ai ouvert fissa le robinet pour me mouiller le visage. C'était moins une. Pour lui aussi, c'est un affreux calvaire. J'aborderai le cancer pour l'entourage une fois prochaine. Pour l'heure, je vais promener mon corps vide et tenter de trouver de quoi m'occuper.
ÉPILOGUE DE LA NUIT SANS SOMMEIL PORTANT CONSEIL :
Je ressasse, je réfléchis... J'ai les idées bien en place. je peux solennellement annoncer, à 4H22, ce vendredi 21 juin 2013 : je suis prête pour la castagne ! Je vais vendre très chèrement ma peau (parce qu'elle le vaut bien :) et tu vas dérouiller pareil, pourriture ! Ceci étant posé, je vais pouvoir dormir maintenant.