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Les crabes dansent au Croisic

Je ne guérirai pas, mais je vis gaillardement (la plupart du temps) : FAUT PAS GÂCHER !

12 jours pour un diagnostic. La vie se complique sérieusement pour la première fois.

Avant d'attaquer le billet ami lecteur, faut que je te dise :

Tout ce qui suit, je l'ai écrit en 1996.
J'ai 27 ans. Toute jeunette et farcie des illusions légères propres à mon âge, je découvre brutalement que mince dis donc, je ne suis pas invincible. Les certitudes d'alors me feraient presque sourire... Si je n'étais pas de nouveau bien malade aujourd'hui. Quant à certaines pratiques, invasives, douloureuses, sans anesthésie... Elles ont évolué et c'est appréciable. Mais tu te demandes quand même comment on a pu infliger pareilles tortures, au nom de la guérison dans la ligne de mire. La fin ne justifie pas les moyens. Oh que non. Lis, tu vas comprendre pourquoi. Ah, une dernière chose : les * accolés aux noms des médecins, c'est pour te dire que je les ai changés. Le professeur Desconifères et le docteur Pagaie n'existent pas. Enfin si, ils existent, mais pas sous ces noms là ; bref, tu m'as comprise.

 

6 août 1996

Tout juste sortie de l'hôpital de Nantes avec le cliché de la chose, tu te souviens ? La table froide de l'hôpital de Nantes, la masse sur le poumon droit à la radio, le radiologue, son tact...

Une heure et demie plus tard, je suis donc de retour chez le généraliste. Elle entend la chose gronder dans ma poitrine avec son stéthoscope. Moi je n’ai pas besoin de son machin : je l’entends bien ronronner depuis dimanche. Elle veut une prise de sang et une analyse.

"C’est infectieux ou c’est plus sérieux"

Elle ne veut pas perdre de temps. Je dois sans doute cet empressement à sa jeunesse et son inexpérience. Elle remplace mon médecin habituel pour l’été. J'imagine qu'elle ne veut pas prendre de risque. Une demi-heure plus tard, je suis au laboratoire pour l’examen sanguin. Ils faxeront les résultats au docteur et elle m’appellera. Je rentre chez moi dans la mini Austin noire que je viens de vendre (Nous quittons Nantes pour Paris dans 15 jours). J’écris pour oublier que j’ai la trouille. J’ai peur pour moi, peur pour ceux que j’aime. L’attente me fait gamberger. C’est ridicule : ce n’est peut-être rien ! Le téléphone sonne enfin.

"Les analyses de sang ne montrent rien d'infectieux".

J’apprécie le sous-entendu habile. Rien d'infectieux, c’est donc que c’est sérieux.

"Je vous ai pris un rendez vous demain, au Centre Catherine de Sienne. Il nous faut une échographie et un scanner".

Ce que vous voulez, pourvu que je sache enfin ce qui envahit ma poitrine. Depuis ce matin, j’ai en tête l’image du nénuphar qui pousse dans le corps de Chloé, jusqu’à la tuer, à la fin de l’Écume des Jours. Je vais peut-être devoir me battre contre mon nénuphar moi aussi. Mon Homme, mon Homme d'avant, est dans le train, éloigné par le travail. Vivement qu’il revienne.

 

J+1

Nous sommes tous les deux à l’hôpital. Échographie. L’attente entre chaque examen, avec la main de mon Homme d'avant dans la mienne. Scanner. Toute la journée dans les fauteuils inconfortables d'un couloir, avec le temps de s'imaginer le pire. Pneumologue. Je plains les pauvres gens qui vivent ce calvaire tous les jours, parce qu’ils n’ont pas eu la chance de naître en bonne santé.

 

J+2, 9H30

Je n’ai plus la tête à m’apitoyer sur le sort des autres : un tuyau dans ma bouche va jusque dans mon poumon droit. Un autre dans le nez envoie de l’oxygène. La tête du pneumologue de la veille au dessus de la mienne. Il m’est tout de suite nettement moins sympathique. Il manipule la sonde qui fouille ma poitrine. A ma gauche, une infirmière balaise actionne l’ouverture et la fermeture du petit grappin introduit dans mes entraillles. Je lui serre le bras si fort qu’elle en garde sans doute une cicatrice aujourd’hui. C’est une horreur cette fibroscopie. L’impression atroce de manquer d’air. La douleur du grappin qui tire les chairs dans la poitrine. Je suffoque, je tousse pour tout recracher mais les tuyaux sont plongés bien profond. Je veux leur dire d’arrêter mais l’anesthésiant dans la gorge m’a rendue aphone. Je finis par crier en silence. Je regagne ma chambre dans une chaise roulante encore sonnée par la torture que l’on vient de m’imposer, sans anesthésie. Je me garde bien de décrire le tableau à ma voisine de chambre qui va subir le même sort dans dix minutes. Mieux vaut la laisser dans l’ignorance jusqu’au dernier moment.

J’ai à nouveau un filet de voix. J’appelle mon Homme d'avant. Il remplit les cartons de notre déménagement à la chaine. Remplissage anarchique, mais efficace. Les déménageurs devraient quitter l’appartement dans les temps en début d’après midi. Mon Homme d'avant réceptionnera le déménagement demain matin au N°8 de la rue des Lombards, dans le quatrième arrondissement. Son avion pour Paris décolle à 17H25. Il aura peut-être le temps de passer me voir avant. Maman-douce viendra aussi. Je viens tout juste de mettre mes parents au courant, ce qui m’a valu un gentil sermon de Maman-douce. Je voulais les ménager, ne pas les inquiéter trop tôt. En attendant ces visites, je m’ennuie ferme ! Ce que le temps peut s'étirer quand on attend.

J’attends aussi les résultats de l’analyse du prélèvement de ce matin. Le pneumologue doit revenir vers 20H pour me dire s’ils sont positifs ou négatifs. Positifs : il aura pu en tirer quelque chose, ils seront en mesure d’établir un diagnostic dans la foulée et je saurai avant le week-end quelle espèce de nénuphar me pousse dans le corps. Négatifs : pas de diagnostic, je rongerai mon frein tout le week-end, je m'inquièterai à nouveau et en début de semaine ils m’opèreront pour faire une biopsie, cette fois infaillible, pour être fixée.

Le téléphone sonne. A Niort, Papa-malicieux s’inquiète :

"Mais tu as senti le petit grappin qui s’ouvrait et se fermait ?

- Ben oui..."

Il veut que Maman-douce me ramène dès ce soir chez eux, dans les Deux Sèvres. Mais ce n’est pas possible mon Papa-malicieux. Ils veulent me garder au cas où… Des complications… Des chinoiseries… Bref, ils veulent m’avoir sous la main en cas de problème. Je dors à la clinique.

19H30, le pneumologue ouvre la porte de ma chambre. Biopsie négative. Et merde.

Je passe une nuit d’apocalypse : ma voisine ronfle en continu, couine sporadiquement comme le cochon qu’on traumatise et pour parachever le tout, elle pète aussi comme une vache. Elle a la flatulence grasse, sonore et odorante… Je me retourne dans mes draps jusqu’au jour et à sept heures, ce sont les aide-soignantes qui prennent le relais. Ça va, ça vient dans la chambre. Ça ouvre les volets sans ménagement. Ça jacasse... Je garde les yeux fermés serrés. Je veux dormiiiiir ! "Elle dort bien votre amie !" crient-elles à ma voisine. Pffffffffff...

Je comprends que l’acharnement ne paiera pas. Je fonce à la salle de bain. Un peu aussi pour occuper les lieux la première, histoire de prendre une douche sans avoir à éviter les cheveux de ma copine de chambrée. Être propre revêt ici pour moi, une importance capitale. Tous ces malades dispensés d’être présentables, l’haleine chargée, les habits froissés, le cheveu gras et hirsute… Je ne VEUX PAS leur ressembler ! Je me brosse les dents avec énergie, je savonne, je frictionne, je fais mousser le petit marseillais à l’amande douce. Je me maquille même, légèrement.

De retour sur mon lit, je retire de mon oreiller blanc les quelques cheveux perdus dans la nuit. Je garde un si triste souvenir des derniers jours de ma Mamie-chignon à l’hôpital de Saint-Nazaire, dans cette chambre où elle n’était plus que l’ombre d’elle-même. Il y avait tant de cheveux ici et là sur la housse boulochée de son traversin. Ma Mamie-chignon si coquette autrefois, Ma grand-mère chérie dont j’aimais tant, petite fille, regarder le « cérémonial du coiffage ». Le bruissement de la brosse de soie lissant la longue chevelure noire et grise. Les épingles à cheveux coincées entre les lèvres et fichées une à une dans les cheveux relevés en chignon banane. A quoi l’avait-on réduite ?! Je mets donc un point d’honneur à me faire belle, même s’il n’y a que les infirmières pour en profiter !

On m’impose un dernier examen avant la quille : spirographie. Je dois respirer dans un tuyau pour qu’ils mesurent mon volume pulmonaire. Le souffle n’est pas altéré au repos. Il l’est en revanche quant il s’agit de répondre à un effort, comme éteindre des bougies. D’accord. Mais là, moi, je file ! Je ne reste pas une seconde de plus ici. Je referme mon Mary Higgins Clark sur le mot « fin » (synchro). Je prends une dernière douche rapide, enfile ma petite robe vichy, celle qui me laisse le dos nu, empoigne ma valise et mon sac, souhaite "bon rétablissement !" à ma péteuse de voisine et au revoir ! « 2 rue Cacault » lancé au taxi qui me reconduit chez moi. L’appartement est vide. C’est très étrange. Toute cette situation est étrange. Toute ma vie est en train de changer. Dans trois heures, mon Homme d'avant revient de Paris. Et une heure et demie plus tard, on sera dans les Deux Sèvres pour le week-end avec mes parents. Je serai redevenue leur petite fille fragile. Maman-douce en fera des tonnes pour que je ne manque de rien. Papa-malicieux fera trop bonne figure pour être crédible. Mais retour au cocon pour me requinquer... avant l'opération et la biopsie.

 

J+6

Mon Homme d'avant et moi avons rejoint le Mercure de Nantes Beaulieu, chambre 510. Le groom de l’hôtel pousse une table ronde montée sur roulettes jusqu’au milieu de la pièce. Nappe blanche, verres à pied, soupe de poisson et assortiment de fromages, dîner en tête à tête. Trêve irréelle avant ce qui m’attend demain. A 14H, après la prise de sang de rigueur pour le test de coagulation, le professeur Desconifères* m’opère. Il m’a promis une cicatrice de trois centimètres maxi. Il a écarté la célioscopie qui m’aurait pourtant bien arrangée sur le plan esthétique.

"Trop de monde à proximité, l’aorte, les poumons… autant de choses que je ne veux pas risquer d’abîmer."

Il y va donc directement. De face. Il ouvre. Il va chercher le nénuphar. Il en prélève un morceau pour le faire analyser. J’ai peur. J’appréhende l’anesthésie, la première, la souffrance au réveil, la cicatrice et ces trois jours d’hospitalisation.

 

J+7
(une semaine tout rond, que je suis installée dans le camp des malades)

Mon Homme d'avant me conduit à l’hôpital. Je lui tiens la main. Il tient ma petite valise. Ce pourrait être un cartable. Je suis comme la petite fille que son papa amène à l’école pour sa première rentrée. Le ciel est blanc et brumeux. Je découvre ma chambre. Les larmes me montent aux yeux. La tapisserie beige est passée. Le mobilier est fatigué. Les bassines douteuses de ma voisine de chambre encombrent la salle de bain (le coin lavabo, en réalité, puisqu’il n’y a pas de douche et encore moins de bain). La chambre est triste. La vue est triste. Le temps est triste. Et je vois bien que mon Homme d'avant est triste, lui aussi, de me laisser là.

On vient me chercher pour la radio. Dans une salle d’attente maxi glauque, une bonne femme en robe de chambre me rejoint. Même pour tuer le temps, j’ai pas du tout envie d’entamer la discussion avec elle. Ce doit être la robe de chambre. Ils finissent par me montrer le chemin d’une cabine. J’y suis torse nu depuis dix minutes. J’entends quelqu’un esquinter mon nom. Enfin, on m’appelle c’est déjà ça. Bizarrement, ce n’est pas la porte de ma cabine que l’on ouvre, mais celle de ma voisine. La bonne femme en robe de chambre. Super… Quand je pense que je vais plaquer ma jolie poitrine de jeune fille là où elle écrabouille ses vieux seins mous… A mon tour maintenant. L’interne m’attrape le bras pour le placer correctement. Il me fait un mal de chien. C’est là qu’ils ont piqué tout à l’heure pour prélever sept tubes de sang. Sept. J’ai cru qu’ils n’arrêteraient jamais de pomper les Shadocs ! Bref. Je remonte seule au troisième étage de l’aile ouest, vers la chambre 340 du service pneumologie. Seule avec mon cliché, encore une fois. Le nénuphar est toujours là. Il a peut-être grossi.

Il est 13H. Un infirmier me donne un calmant. Une heure plus tard, je suis dans un sacré coton. Il me réveille pour me descendre dans la salle d’anesthésie. De mon lit qui me fait l’effet de rouler comme un bolide, je ne peux pas voir le brancardier. Droit devant, j'ai le plafond et ses couleurs qui changent avec les services. On passe de la peinture vert-tilleul, au bleu-ciel, puis au saumon. Je hais les teintes pastel ! Ternes, sans énergie, ni caractère. Berk. Je regarde à gauche, à droite. On croise des petits vieux à bouches ouvertes qui se font pousser comme moi. Je fais la conversation à mon pousseur. Il rit. Je ris aussi. Plus tard, il me dira qu’il n’avait jamais autant ri en descendant quelqu’un au bloc. Au bloc justement, changement de lit, on me transvase. Je suis vaseuse. Mes bras roulent sur le côté. On me met en garde : cette nouvelle couche est plus étroite. L’anesthésiste m’explique le masque, l'oxygène et l’intraveineuse. Trois tentatives douloureuses avant de poser finalement l’aiguille sur la main droite. J’ai juste le temps de lui parler de mon oncle anesthésiste à Saint Nazaire. Il me répond qu’il le connaît. Et puis pouf, plus rien.

Vers 18H, c’est le réveil. Brutal. Comme on sursaute à la fin d’un cauchemar. Comme un flash dans la nuit. Comme l’apnéiste crève brutalement la surface après le noir et le silence des profondeurs. J’ai la sensation de revenir de loin. Je ne sais pas où je me réveille. Les néons, le bruit, les têtes masquées. Elles s’affairent. Je me sens agressée et j’ai froid. On me couvre d’une couverture chauffante dans un bruissement de papier aluminium. Mes dents ne claquent plus. Le calme revient progressivement. Je suis la dernière dans la salle de réveil avec deux infirmières. Mon Homme d'avant arrive. Il est masqué, blousé et bottiné. Ses yeux brillent et les miens ont du mal à rester ouverts.

La nuit venue, toutes les deux heures, une infirmière douce, fine et floue me rend visite. Je l’entrevois derrière les tubes et mon masque. Avec des gestes délicats, elle vient s’assurer que la solution glucosée et la morphine passent bien dans le cathéter. Elle prend ma tension et ma température, vérifie la régularité de mon pouls et le taux d’oxygène dans mon sang. Elle règle aussi le débit de la perfusion quand je lui chuchote que j’ai la main droite douloureuse. Chacun de ses gestes est fluide et précis. Elle les éclaire de sa lampe de poche. Elle évolue comme en apesanteur. Tout ce qu'elle me fait est atténué, ouaté. Même les piqures anti-coagulantes dans le ventre, toutes les 8 heures, sont indolores. C'est la fée clochette ! Et je suis sur l'île des enfants perdus ! Je me trouve en fait dans le service de chirurgie pédiatrique. Il n’y a pas de place ailleurs pour le moment. Le personnel y est particulièrement attentionné et doux.

 

J+8, en fin de matinée

Je déchante brutalement : après une toilette musclée (je ne détaille pas le plaisir de se faire frotter au gant de toilette, recto-verso, comme un légume), on me remonte en pneumologie dans ma chambre initiale. Quelques bonnes nouvelles quand même : plus de cathéter, plus de perfusion (un tuyau en moins :) et plus de voisine !

Papa-malicieux et Maman-douce me rendent visite en début d’après midi. Ce n’est pas une bonne idée : je suis abrutie par la morphine que je prends maintenant en cachet (60mg par jour), courbaturée à cause du mauvais lit, encombrée par le drain, gênée par le masque grâce auquel je respire à peu près. Je fais une poussée de fièvre en prime. Frissons, sueurs froides et douleurs derrières les yeux. Pour la première fois, je vois mon Papa-malicieux éviter mon regard. Il se rapproche de la fenêtre et aux secousses discrètes de son dos, je sais qu’il pleure. Maman-douce doit m’aider à faire pipi, comme si j’étais grabataire. Elle glisse le plat à bassin sous mes fesses, me recouvre du drap (seule pudeur que je peux encore me permettre), vide mon urine dans les toilettes et rince le bac. Je m’essuie vaguement les deux fesses au gant de toilette. Tout ça n’est pas dans l’ordre des choses. Je suis en colère. Et j’ai mal. Ce foutu drain me gêne.

Le professeur Desconifères pousse la porte. Il a les premiers résultats de l’analyse. Il me parle de maladie des lymphocytes (on appréciera encore les précautions oratoires pour ne pas jeter le mot « cancer » comme un pavé dans la mare), de conclusions plus précises à venir, d'un rendez-vous pris en tout début de semaine prochaine avec le Docteur Pagaie* pour le traitement.

 

J+9

Je me sens bien. On m'a nettoyée à fond. J'ai même eu droit au déodorant ! Je peaufine en me tartinant de crème de jour. Mon Homme d'avant est là pour me tendre la brosse à dent de voyage chargée d'Aquafresh, le verre du rinçage et la bassine (jaune pâle) pour le crachage. Pas le temps de savourer mon plaisir : le professeur Desconifères débarque avec Odette*, mon infirmière. Le drain ! Il s'assoit sur mon lit :

"Bon, Minette, ça va faire mal."

Effectivement, ça fait mal. Si mal, que c'en n'est pas descriptible. Il pince très fort à l'entrée du tuyau sur ma peau et il tire sur le tube fiché dans mes chairs depuis 2 jours. Une souffrance inqualifiable et interminable. Le drain se retire avec un bruit de succion atroce. Je crois qu'il me retire un serpent des entrailles. Quand il me parle de points de suture, je revois l'agrafeuse qui avait recollé le ventre de Tilou, notre chat tigré à Tahiti. Opération douloureuse, mais brève. Clac, clac, 2 agrafes et terminé. Mais Odette tend une grosse aiguille et un fil tout raide au professeur Desconifères. Il me prévient :

"Je pique."

Bon sang, j'en attrape la poche de sa blouse. Pour piquer, ça pique !

"Vas-y Minette, écrase mes stylos, ils ne valent rien."

En temps normal, j'apprécie l'humour mais là... J'agrippe tout ce que je peux, je serre, je me souviens que je dois respirer, c'est vrai, j'ai oublié de respirer, j'écarquille de grands yeux vers mon Homme d'avant. Il semble horrifié par le spectacle. Je cherche du réconfort ailleurs. Je tombe sur la belle ouvrage du professeur Desconifères, la grande aiguille remontre, le fil glisse entre mes chairs et les rapproche. Un noeud. Il serre. C'est fini. désinfectant. Sparadrap.

"Je suis désolée de réagir comme ça. Je ne suis pas habituée à la douleur.
- On ne l'est jamais."

Le professeur Desconifères et Odette se retirent. J'attends que la douleur me quitte aussi. Elle disparaitra une heure plus tard.

 

J+10

D Day ! La quille ! Vivement le passage du professeur Desconifères pour qu'il signe ma sortie. J'attends aussi mon Homme d'avant. On frappe à la porte. C'est lui. Il entre. Il m'embrasse !

 

J+11
Dans le cocon de Maman-douce et de Papa-malicieux

Que d'attentions envers moi... Boule dans la gorge et larmes aux yeux en découvrant une lettre, LA lettre de ma tante Pierrette : " Ma toute petite nièce si jolie sur un lit d'hôpital en train de souffrir. Toi si rieuse, si éclatante, en train d'avoir mal .../...". Le même jour, mon grand-père sanglote au téléphone : "Pierrette voulait te dire un mot, mais elle ne peut plus. On est tous très émus." Ma grand-mère lui prend le combiné des mains et reprend du même coup la situation en main : "Courage Catherine. Nous sommes tous avec toi." Isabelle, amie des années collège à la Réunion, me laisse un message paniqué sur le répondeur. Elle a appris ma maladie en revenant de Corse. Je la rassure comme je peux. Mon Homme d'avant doit répondre aux questions de tout le siège de la Biscuiterie Nantaise où je travaille.

Je ne m'attendais pas à tant de manifestations d'amour et de sympathie.

Papa-malicieux et mon Homme d'avant sont à Paris. Ils montent ensemble l'armoire de la chambre et rangent le plus gros. Ils veulent préparer le nid avant que j'y arrive. Ça aussi, cela me touche.

 

J+12

Mon Homme d'avant me conduit à Nantes. Rendez vous avec le Docteur Pagaie en fin d'après midi. Il est Hématologue. Spécialiste des maladies du sang à la clinique Catherine de Sienne. J'apprends le nom complet et le pédigrée du nénuphar :

"C'est un lymphome non Hodgkinien du médiastin, à grandes cellules B, de haute malignité".

En clair, mes lymphocytes ont perdu la boule. Au lieu de me protéger, ces cons se multiplient tous azimuts, prolifèrent et se regroupent en ganglions anarchiques entre la plèvre et les côtes. Une maladie qui peut toucher les jeunes. Non héréditaire.

"C'est juste la faute à pas de chance".

Le traitement sera costaud.

"Ce sera 6 mois de chimio-thérapie. Très certainement suivis de radio-thérapie"

Le nénuphar est très gros.

"On commence la semaine prochaine. Il faut aller vite"

Le nénuphar est très gros (9 cm) et continue de grossir à la vitesse grand V.

"Les effets secondaires seront quasi instantanés. Vous serez fatiguée. Vous allez perdre du poids, perdre vos cheveux et ..."

Je serre les dents depuis un moment. Mais là, "tu pousses le bouchon un peu trop loin Maurice !". Ouverture des vannes. Booooooouuuuuuuuuuuu.... Je me ressaisis. Je me raisonne. La fin justifie les moyens (parfois, quand même :).

"il y a 20 ans, on mourrait encore de ce que vous avez. Mais là, la guérison sera totale et définitive"

Ma maladie est devenue concrète. On sait ce que c'est. Ça aurait pu être bien plus grave. Je vais guérir. Mais je ne réalise pas bien les conséquences du traitement. Je réagirai très certainement une fois le nez dedans. Il y aura des moments difficiles. 6 mois pour commencer, la vache... Mais je vais guérir !

 

 

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