1 Octobre 2013
J'aime les 2 premières heures de mes journées. Elles n'ont rien de folichon. Tu te diras même qu'il n'y a pas de quoi en faire un fromage quand je te les aurai décrites. Elles sont simples, certes. Mais je les aime. Un point c'est tout.
Contrairement à la précipitation que nous vivions chaque matin en région parisienne, ici on a le temps. Début de la classe à 9H, temps de trajet de 5 minutes en comptant l'arrêt au stop de la rue du milieu... Y'a pas l'feu.
Les petits hommes dévalent les escaliers blancs. Ils sont beaux. Je le leur dis :
"vous êtes chics mes amours !"
Le tout petit homme a toujours une mission capitale de dernière minute. Elle ne tombe jamais bien. Parfois, c'est un dessin à finir, ou des billes à sélectionner pour les épreuves du jour à récré. Ce matin, il décide de couper ras, les bords rebelles et rebiquants d'un sparadrap posé la veille sur un bobo imaginaire. On a le temps, m'enfin, on a aussi école aujourd'hui mon p'tit gars. C'est pas l'moment tu comprends ? Il s'assoit sur le marche pied de la cuisine et entreprend son affaire avec concentration... Et les ciseaux microscopiques de son couteau suisse. Les couteaux suisses, ça peut dépanner. Mais ça dépanne que dalle en réalité, vu c'est conçu pour les Lilliputiens. J'empoigne donc les grands ciseaux de cuisine pour accélérer les opérations. Le tout petit homme n'est pas rassuré. Il se laisse faire malgré tout. Il voit bien que c'est mieux adapté, les grands ciseaux. Simultanément, son grand frère me rappelle qu'il doit partir avec ses affaires de sport. Crotte. J'ai bien pensé aux bottes pour le jardinage*. J'ai pas pensé aux baskets. Je descends au garage. Je récupère les baskets. Les bleues. Les belles. Celles qui courent vite. Je bourre un peu le sac rouge qui contient déjà les bottes. J'ouvre la porte donnant sur l'entrée. Juste à temps : les petits hommes se chaussent. Rangement des chaussons Robeez dans le placard. Enfilage du petit sac à dos bleu avec le gros poisson orange dessiné dessus. Roulage du cartable Tann's en position de départ, face à la porte principale. Mon homme est chic lui aussi. Jean, T-shirt et veste marine. Ses tenues de travail me plaisent ici. Il me fait remarquer sa barbe de 4 jours. Je lui dis que ça me plait. Lui n'aime pas. Il va la raser. Je ne peux pas l'embrasser. Foutue toux, satanés miasmes. Je m'adosse au mur de la maison pour profiter du spectacle. La galopade des petits hommes vers la voiture. Mon homme suit sans galoper. Je lève la main et crie au revoir à mon petit monde. Le tout petit homme est déjà juché sur son fauteuil. Le petit homme attend au portail. Il se tourne vers moi.
" Au revoir Maman, je t'aime.
- Je t'aime aussi mon grand. Amuse-toi bien."
Il m'envoie un baiser en soufflant. Il hésite. Papa n'a pas encore allumé le moteur. Il court vers moi dans l'allée. Ronron sonore des roues du Tann's sur le pavé. Je serre mon petit homme contre moi. Il sent bon le chaton. File maintenant mon chaton. Bonne journée. Dans la voiture derrière les vitres, 3 mains font les marionnettes. Elles me disent au revoir. La voiture fait un demi tour sur la route devant la maison et vroum ! En route pour l'école, avec un arrêt à mi route pour embarquer les cousins. Les trajets sont animés avec les cousins.
Vient maintenant l'heure de l'ami Ricoré.
La maison est silencieuse. Je suis assise au premier étage de la maison, face à la baie vitrée ouverte, au sud. En levant le nez, je vois notre jardin, les Tilleuls des voisins et en dentelle derrière les feuilles, les ardoises des maisons de la ville. Dehors aussi c'est silencieux. Les goélands ne crient pas ce matin. C'est inhabituel. Ils ont généralement beaucoup à se dire en début de journée. Peut-être font-ils la grasse matinée. Sur la table de chêne clair, un jus de grenade, quelques amandes, et ma Ricoré ! C'est mon petit déjeuner.
Bon, il y a aussi le petit comprimé jaune qui me tient en vie. Et un verre d'eau où marinent 60 grammes de cortisone qui vont zigouiller les microbes de mon rhume sans faire de quartier. Fallait pas m'asticoter les microbes. J'ai passé la quasi totalité de la journée d'hier au lit. Alors les frissons jusqu'aux cervicales en début de soirée, c'était la provocation de trop. J'ai sorti l'arme chimique du carton. Je vais pilonner la zone cinq jours en continu. Après ça, ils feront moins les fiers.
Prenez moi pour une fêlée de la coquille si vous voulez, mais je l'aime ma Ricoré ! Je verse le lait bouillant (faut qu'il ait grimpé dans la casserole le lait hein, sinon, c'est pas bon pareil !) sur une cuillère à café replète de la fameuse poudre ambrée. Ça tourbillonne, les petits paquets de poudre agglomérée. Avec la crème du lait frémissant, la surface mousse et monte et veloute dans le mug... Mon Mug préféré ! Le rouge et blanc, avec une petite geisha dessinée devant. La main passée sous l'anse, bien à plat tout autour, est réchauffée. Et la gorge aussi, au passage de la Ricoré. Un tel plaisir, c'est par lui que je termine le petit déjeuner et je le fais durer. Ce qui me chagrine un tantinet quand même, c'est que je ne suis pas foutue de me souvenir de la première gorgée, la toute première gorgée de Ricoré. Où ? Quand ? Comment ? Qui m'en a donné l'idée ? Parce qu'on ne se lève pas un matin en décidant qu'on va s'y mettre. Je vous l'accorde volontiers. On est initié à la Ricoré Mesdames et Messieurs. Voui. Un jour, vous voyez quelqu'un en boire, quelqu'un qui vaut quelque chose pour vous et vous vous dites "pourquoi pas moi" ? Pour moi justement, en y réfléchissant un peu mieux, je crois que ce quelqu'un s'appelle Gilles. Mon oncle Gilles. Le café ne lui était pas recommandé. C'est lui, oui, qui buvait de la Ricoré devant moi, sous la glycine de la maison des retrouvailles en famille... Gilles, je te dois une fière chandelle.
Je suis tombée sur la couverture d'un livre la semaine dernière : "Les gens heureux lisent et boivent du café". Je n'aurais jamais été capable d'une telle affirmation. La faute à la Ricoré. Au delà du pinaillage sur le breuvage, je me dis surtout que les gens heureux savent s'arrêter, saisir un petit pas grand chose en apparence et en savourer les détails. Qu'il s'agisse d'un livre, d'un café ou d'une Ricoré. Quand on y arrive, c'est ça être heureux.
* Les activités des enfants ont changé avec le déménagement:
La mairie du Croisic propose gratuitement de l'initiation à l'anglais et à l'informatique, de l'aide aux devoirs et du jardinage avec des bénévoles de l'AVF - Accueil des Villes de France. À partir de 8 ans, on peut donc jardiner joyeusement avec des papis et mamies volontaires, dans le jardin de la municipalité, derrière la petite bibliothèque. Juste après la classe, ça bine, ça creuse, ça plante et ça plait beaucoup !
Cette année, le petit homme a voulu se réinscrire. Ça me fait plaisir. Il est heureux comme tout. Et fier de nous ramener ses récoltes au fil des saisons. Cet hiver, on va manger du chou !