16 Août 2013
Le vendredi, chaque quinzaine en été, c'est la fête des Vieux Métiers de la Mer au Croisic. Sur la place Dinan, on installe les tréteaux, les planches pour les étals et un chalutier pour le décor ! Il arrive sur une remorque, derrière un tracteur trèèèèèèèèèès lent : s'agirait pas d'estropier les tilleuls bordant la place. La place Dinan du Croisic, c'est la place de l'Étoile à Paris... Toutes proportions gardées quand même. Mais, c'est dire si c'est symbolique. C'est la place des marchés, des brocantes, du vide grenier annuel... et de la fête des Vieux Métiers de la Mer.
Ce soir là encore, les sardinières recréent la chaine joyeuse de l'industrie de la sardine aux temps de sa splendeur ; les bigoudines ensabotées et coiffées de dentelle crochètent, tricotent et papotent ; un paludier à la retraite explique l'histoire et le fonctionnement incroyablement ingénieux des salines d'ici ; une autre figure locale expose sa collection ancienne de sextants, sabliers et autres outils indispensables à la navigation sans GPS. Il y a là aussi les associations centrales du Croisic : les amis du Kurun et la S.N.S.M. C'est chouette tout ce monde réuni, tous ces échanges bienveillants au dessus des stands, tous ces liens qui se tissent.
Le Bagad de la Presqu'île me fait toujours le même effet. C'est à dire que j'ai les poils tout droit debout partout, rien que de voir arriver et se placer les musiciens en demi cercle. Une note de bombarde ou de biniou et bouuuuuuuuuuuuuuu... Au bord des yeux, sorties des yeux les larmes ! Je ne maîtrise rien. C'est comme ça.
La soirée s'étire ensuite autour de grandes tablées prêtées par la mairie. Les trois troquets de la place font le plein. Ils improvisent des grillades de merguez, andouillettes et sardines. Ça sent bon la braise. On mange à la bonne franquette sur le bois qui colle un peu aux avant-bras, on trinque, on boit, on chante aussi. Parce que Yann et les Gars d'chez nous sont là, devant le Café Des Sports (rebaptisé Café du Marché depuis un moment. C'est plus joli pour le touriste, mais pas du tout intégré par l'habitué croisicais). On connait tout le répertoire de Yann. Même le petit homme reprend les refrains : "Rue des trois matelots, à Nantes il y des filles. Rue des des trois matelots, les filles ont le sang chaud !". Dans la bouche du petit homme de 9 ans, ça peut surprendre. Mais c'est la culture locale qui rentre.
Pourquoi je te raconte tout ça ?
J'aime chaque détail de la description que je vous en ai faite... Plus tous ceux que j'ai gardés pour moi pour pas vous encombrer le cerveau et vous perdre en route !
Je l'ai aimée ma soirée vendredi dernier. Naturellement. Sans cogiter. Je l'ai réalisé brutalement à la fin d'une chanson des Gars d'chez nous. Je chantais avec eux, je bavardais avec mon grand-petit-frère-sauvage :) , je croquais dans ma tartine de sardines (au beurre demi sel !), je regardais les sourires tout autour, la fête battait son plein, j'étais en plein dans la fête... Et paf ! Je me suis dis : "dis donc ma petiote, tu serais pas en train de vivre un bon épisode de bonheur là, sans en avoir l'air ?"
L'an passé, le même endroit, la même fête, les mêmes têtes... Rien à voir pourtant. La récidive venait de me tomber dessus. Les métastases constellaient mes poumons. On m'avait parlé d'os atteints et d'une image suspecte au foie. Je ne parvenais pas à vivre sans penser à la mort. Imminente. Devant le Bagad, les petits hommes serrés contre moi, je pleurais. Dans leur dos. Discrètement. Je m'efforçais de me concentrer, d'ouvrir grands les yeux et les oreilles pour emmagasiner. Coûte que coûte. Parce que c'était la dernière fête des Vieux Métiers pour moi, sans doute. "Ne rate rien de ça ma fille : tu n'es pas sûre d'être là pour un 2ème service". Pourtant je ne fixais rien !
C'est déjà pas facile le bonheur. Mais quand on le cherche et que le temps est compté, c'est pire encore. Essaie de trouver le sommeil en le voulant très fort, dis-toi en plus que tu veux y arriver sans perdre une seconde, et tu ne fermeras pas un oeil. Et ben le bonheur, c'est pareil ! Pour le décrocher, faut décrocher ! En veilleuse, la cervelle. Sinon les sensations, les émotions, tout ce qui est bon est trucidé. Laisse-toi attraper par le décor, porter par les événements, les personnages. Resserre ici et là sur les détails de la scène qui te botte... Ça y est, tu es dedans ! Profites-en.
Je vis plus longtemps que ce que je m'étais figuré au départ. Chaque jour passé ancre l'idée ou l'illusion ?... que je vais durer. Quoiqu'il en soit, ça détend ! Me voilà quasi débarrassée de l'urgence à profiter.