22 Août 2013
Avec Super Mario, je me sens bien.
Je suis en confiance. Je suis entendue et entière : je suis la malade ; je suis aussi la personne, la jeune femme, la femme de mon Homme, la maman des petits hommes, l'ex Parisienne qui bossait dur dans la grosse boite qui payait bien et la nouvelle Croisicaise qui aime le bateau et l'océan.
Je peux questionner, parler, pleurer et rire. Ce pourrait être un très bon copain. Mais faut pas tout mélanger : c'est un très bon oncologue et c'est bien ainsi.
Avant hier, quel rire quand même. J'en avais la tête baissée sur la table. J'essayais de me le contenir pour pas vexer Super Mario. C'est sa faute aussi : c'est son expression après avoir regardé les résultats de mes examens sur son écran :
"tout est parfait, tout est sous contrôle."
Bon, dit comme ça, je reconnais qu'il n'y a pas de quoi se taper la cuisse. Mets toi à ma place pour comprendre : je suis raide des articulations, j'ai les vertèbres en chauffage sur le dix, je me tortille depuis près d'une heure sur ma chaise en salle d'attente, je ne tiens plus la position, j'ai mal partout quoi. Et le garçon me dit "tout est parfait". Tout est parfait ? Tout est parti oui ! J'ai ri, j'ai ri... J'ai craint de l'avoir blessé aussi. Mon Homme me dit que non. Bon. Tant mieux. J'essaierai quand même de pas recommencer parce que je l'aime beaucoup Super Mario. C'est un chouette bonhomme. Il a mon âge ou presque. Avec le visage lisse et le regard ingénu de l'enfance. Il a aussi cette façon un peu pataude quoique décidée, de se déplacer. S'il lit ça un jour...
Super Connard N°1 est à la genèse de la genèse. Je lui dois la précarité de ma vie aujourd'hui et toutes mes emmerdes jusqu'ici. A lui, revient donc légitimement, la palme de la Super Connerie. LA mammographie dite "normale" du 1er décembre 2008, avec ce si petit "fibroadénome en voie de calcification dans le quadrant supérieur droit à surveiller à 6 mois ou à 1 an".
Heureusement que j'ai pas attendu 1 an dis donc.
Petite précision de bibi sur la Super Connerie de Super Connard N°1 pour qu'il n'y ait pas rebiffade du corps médical : on peut foirer un diagnostic et confondre une boule inoffensive avec une tumeur maligne, surtout quand elle fait moins de 2 millimètres. On peut. Je le comprends et je l'admets même. Mais quand on suit une patiente depuis des années, que l'on sait très bien le passé médical lourd, le lymphome et la radiothérapie sur la poitrine 10 ans plus tôt, on se méfie. On creuse un peu. On ne classe pas la bestiole ACR3 et au revoir cocotte. Un tout petit cran de surveillance au dessus aurait suffit à m'épargner le grand gâchis et la mort avant la date de péremption : ACR4 et j'avais droit à la biopsie qui aurait tout déclenché, tout réglé en 2 coups de cuillère à pot. 2 millimètres... Extraction de la micro crotte de bique sans cicatrice. Chimiothérapie en comprimé et encore... Fin de l'histoire.
Non vraiment Super Connard N°1, tu la mérites, ta première place sur le podium de la Super Connerie.
Je trimballe mon inquiétude chez les "spécialistes" depuis 3 semaines déjà. On me prend de très haut. Je retiens quelles phrases mémorables de ces visites :
"Ca vous fait mal ? C'est sans doute un kyste. Les cancers ça fait pas mal."
"Elle est inquiète la p'tite dame ? Ne vous inquiétez pas, ça s'retire les fibromes. Et puis, certains vivent même avec très longtemps."
Nous sommes le 28 mai 2009. A la demande du Super Connard N°3 qui doit me retirer ce qui est encore pris pour un fibroadénome bénin, je rends visite au Super Connard N°2 pour une mammographie. L'assistante de Super Connard N°2 ne me laisse pas en placer une. Elle me bombarde de questions sans attendre les réponses.
"Et pourquoi on vous demande ça ? Vous avez les mammos précédentes ?"
Je les lui tends, avec la mammographie "normale" du 1er décembre.
"Il les a vues Mr Machin" (Super Connard N°3) ?
Je case mes premiers mots. Je réponds que non. Ce n'est pas mon gynécologue habituel, j'ai été envoyée vers lui par ma gynécologue à moi. J'ai rendez vous avec Mr Machin demain seulement. Je suis là à la demande de Mr Machin justement. Elle m'interrompt :
"Mais il doit les voir !"
Je suis fatiguée. Je n'ai plus envie d'expliquer. Après l'examen, j'attends torse nu sur ma chaise. Super Connard N°2 doit venir me parler. De ma cabine, je peux entendre l'odalisque tordre mon histoire.
"Et puis elle n'a pas montré les premiers résultats au Docteur Machin..."
Sombre conne. Super Connard N°2 arrive. Pas méchant, mais pas chaleureux non plus. J'essaie d'exposer mon cas et mon parcours compliqué le plus clairement possible. Le lymphome 13 ans plus tôt ; le suivi scrupuleux depuis ; la mammographie "normale" il y a 6 mois ; la boule douloureuse que je sens sous les doigts depuis 3 semaines ; la proposition de Machin que je vois le lendemain, de me la retirer, avec cette mammographie complémentaire ; la boule a grossi.
"Oui, enfin, vous savez, me coupe t-il, cela peut grossir brutalement puis s'arrêter. En fonction de votre cycle. Vous en êtes où dans votre cycle ?
- Quel cycle Monsieur ? Je n'ai plus de cycle. Je n'ai plus de règles. Je porte un stérilet hormoné depuis mon 2ème enfant.
Silence... Coupée la chique de Super Connard N°2.
"Bon, si vous voulez vraiment être rassurée, on va faire une biopsie."
Une biopsie. Si je veux vraiment être rassurée. Parce que j'insiste... Sidération. Où suis-je encore tombée ? Et voilà Super Connard N°2 plastronnant de nouveau, m'expliquant l'art et la manière de reconnaitre une tumeur mammaire devant son miroir. Il faut faire ci, et ça, et regarder si rien ne retient la peau derrière... Consternation comme dit Souchon dans la chanson.
29 mai 2009. Je ne le sais pas encore, mais je consulte mon Super Connard N°3 avec la mammographie de la veille. C'est un jovial. Un bon vivant replet. Relativement à l'étroit dans sa blouse blanche, qu'il porte torse nu... et velu. Sacrément velu même.
Souvenons nous, Super Connard N°2 a fini par "m'accorder" une biopsie le 4 juin. Mais Super Connard N°3 décrète que non décidément, pourquoi ne retirer qu'un petit bout de la bestiole pour l'analyser quand on peut tout enlever d'un coup ? On ne va pas s'embarrasser. Et puis c'est gros, ça vous gène. Il compatit. C'est le premier. Il est gentil. Va pour l'annulation de la biopsie de Super Connard N°2 le 4 juin. Va pour l'intervention de Super Connard N°3 le 26.
Sauf que gentil, c'est pas un métier. Et Super Connard N°3 va enchainer les bourdes comme on enfile les perles ; et des belles.
Pour commencer, le 26 juin, quand Super Connard N°3 m'ouvre enfin la poitrine et découvre ce que j'ai dans le sein droit, qu'est-ce qu'il décide de faire ? Ben... Il ne change rien au programme. Il retire grossièrement l'alien. Il referme. Il se borne à me dire qu'il "n'aime pas ce qu'il a retiré" et qu'on doit se revoir plus tard avec le résultat de l'analyse. N'importe quel chirurgien faisant sa découverte pendant l'opération, aurait fait analyser la bébète séance tenante, pour décider et pratiquer une exérèse bien large. Une tumorectomie digne de ce nom en somme, à la place du plan prévu. J'aurais évité une nouvelle intervention pour reprendre le travail mal pas fait de Super Connard N°3 et gagné un bon mois. Super Connard N°3 n'était pas préparé. Il a perdu les pédales. Tant pis pour moi.
Quelques jours plus tard, quand il faudra me placer un PAC sous la peau pour les traitements, Super Connard N°3 s'y collera encore. Pas d'bol. Je me suis réveillée avec un modèle parfaitement inadapté à ma petite morphologie. Un PAC gros calibre, bien costaud, réservé aux personnes... de gros calibre, bien costaudes. Le tout placé non pas sous la clavicule, comme le veulent l'usage et le bon sens, mais bien trop bas. Dans le sein gauche. A chaque chimio, chaque bilan, chaque examen pendant 2 ans, avant qu'on ne m'opère finalement à l'IGR pour remonter le bazar, j'ai dû me mettre à poil pour qu'on me pique. 2 ans à me désaper intégralement la poitrine pour la plus petite piqure... J'ai eu tout le temps de te maudire, Super Connard N°3.
T'es certainement un bon obstétricien, mais la chirurgie... Faut arrêter maintenant.
26 juin 2009. Je suis allongée sur un brancard dans l'antichambre de la salle d'opération. Super Connard N°3 doit m'opérer dans quelques minutes. Mais voici d'abord venir Super Connard N°4. Un grand maigre masqué. Quelques jours plus tôt en consultation d'anesthésie, on m'a dit que c'était un grand pro. Certes. Mais il s'avère peu commode et peu disert. Je le regarde scruter mon bras pour trouver la veine. Il n'apprécie pas sans doute :
"Regardez de l'autre côté".
De l'autre côté, c'est le mur. Ben je vais regarder le mur alors. J'ose avancer que mes veines sont fragilisées par une chimiothérapie subie 13 ans plus tôt. Que s'il avait une aiguille plus fine que celle qu'il s'apprête à me planter dans la peau, ce serait sans doute plus sûr.
"Détendez vous".
Il pique, pose son attirail et tourne les talons sans un mot. C'est aimable. Dans la salle d'opération, je retrouve Super Connard N°4.
"Ça n'a pas tenu. Il faut recommencer."
Son intraveineuse a pulvérisé ma veine. Si seulement tu m'avais écoutée Super Connard N°4... Il y a bien une insulte qui me vient à ce moment là, pour toi. Plusieurs même. Je fulmine silencieusement. Rage rentrée. Il tourne et retourne mon bras, touche, tapote, tape franchement maintenant.
"Ça vous fait mal ?"
Un peu que ça fait mal ! Un mal de chien même. Je le lui signifie. Il n'en tient aucun compte et tape de pus belle. Je pleure. Il pique. Cherche, cherche la petite veine fragile avec l'aiguille. Je n'ai qu'à souffrir. Souffrir et pleurer en silence pour ne pas le déranger. Il finira par renoncer et c'est une infirmière compatissante qui réussira là où le si supérieur Super Connard N°4 s'est vautré comme la merde qu'il est.
Le 9 juillet 2009, enfin, je rencontre une oncologue.
Avec mon Homme, nous courrons un marathon en sprint depuis une semaine. Tout s'est condensé et accéléré depuis "l'annonce" le 1er juillet. J'ai accumulé les consultations, les examens, TEP et TDM pour préciser le diagnostic et le "bilan d'extension initial" comme ils disent. J'ai été ré-ouverte aussi, pour la pose du PAC. Je suis ravaudée de frais. Dans la salle d'attente, nous sommes exsangues. Mais soulagés : bientôt nous allons pouvoir nous reposer sur la feuille de route, le protocole de l'oncologue. Je vais être soignée !
En réalité, je vais être douchée. Et à l'eau glacée encore. Super Connasse me fait comprendre qu'elle ne peut pas me prendre en charge. Que c'est à l'établissement qui m'a soignée en 1996 de le faire. Que c'est à eux que revient la décision de me soigner ou non aux Anthracyclines puisque j'y ai déjà eu droit à fortes doses 13 ans plus tôt. Que c'est à moi de les contacter par dessus le marché, de courir là bas récupérer mon dossier et fissa !
Comme le veut la coutume hospitalière, elle ne manque pas de dicter un compte rendu circonstancié de notre entretien : "j'ai bien expliqué à Madame Barre-Gascoin la nécessité absolue de bla bla bla. Je prescris bla bla bla pour ne rien négliger. Je demande à Madame Barre-Gascoin de bla bla bla au plus vite". Le grand numéro de mystification de la feignasse qui mitraille la patate chaude et ouvre grands les parapluies. Trop compliqué mon cas, trop risqué, trop encombrant juste avant l'été ?... Elle m'envoie me faire traiter ailleurs. Problème réglé. À elle St tropez !
Dois-je en effet ces recommandations cauteleuses au départ en vacances de Super Connasse le soir même ???
Quoiqu'il en soit, j'ai poireauté des heures devant sa porte. La nuit est noire dehors. Je pense aux petits hommes de 2 et 5 ans privés de nous chez la nounou. Je suis malade, découragée, désespérée : Super Connasse refuse tout bonnement de me soigner.