16 Juillet 2013
Une expérience humiliante que je n'ai jamais oubliée. Octobre 96 à l'Hôtel Dieu, place de la Cité à Paris. J'ai 27 ans. Assise en tailleur sur le lit de ma chambre d'hôpital, un drap vert pâle tout autour, dont seule ma tête dépassait pour passer sous la tondeuse de l'infirmière. Tondue ! Comme un mouton, comme un chien, comme un animal. J'ai pleuré pendant toute l'opération, malgré les compliments de ma coiffeuse improvisée pour me consoler : "Je peux vous dire que j'en ai vu beaucoup, des crânes. Et bien le vôtre est très joli, bien régulier. Il y en a qui ont des bosses vous savez ?!". J'ai pleuré encore en découvrant mon nouveau visage dans le miroir piqué de la salle d'eau.
Les semaines qui ont suivi, j'ai eu bigrement froid au ciboulot. Les cheveux, ça tient bien chaud. Et puis je me suis cognée beaucoup. En me baissant pour allumer une lampe, bing ! Le crâne sur le mur. En me penchant au dessus du lavabo pour me rincer la bouche, paf ! la tête dans la glace. Comme si j'avais du mal à évaluer les distances en l'absence de ma tignasse. J'ai craint de me toucher le caillou aussi. Peur de me crever la peau. Cette peau si rose, si souple, avec ses plis. Si peu épaisse en apparence.
Je m'y suis habituée assez rapidement tout de même. J'ai camouflé mon crâne lisse sous des foulards, un chapeau noir acheté aux Galeries ou encore un vert, cadeau de mon Homme d'avant pour la Sainte Catherine.
C'est moi qui ai décidé le lieu et le moment. J'avais encaissé ma première cure de Taxotère-Endoxan 2 semaines plus tôt. Mes cheveux tombaient déjà par paquets. Je les ramassais sur mon oreiller au réveil, dans la douche le matin, sur le carrelage blanc de la maison toute la journée... Il me suffisait de passer la main dans les cheveux pour en retirer une poignée sans douleur. Ils étaient... Comme plantés dans du beurre. Il était temps d'en finir.
J'ai tenu bon quand même, jusqu'à la rentrée du petit homme le jeudi 3 septembre 2009. J'avais le cheveu épars, mais suffisant encore, une fois placé et gonflé, pour faire illusion. Je voulais être une maman présentable pour l'entrée en grande section du petit homme, journée importante pour lui. Le matin du grand jour, autour du petit déjeuner, le moment était propice pour une petite explication :
"Tu sais ce soir, je n'aurai plus de cheveux sans doute. Je t'en avais parlé déjà, tu te souviens ? Ils tombent à cause des médicaments que je prends pour me soigner.
- Non, je veux pas que t'aies plus de cheveux. Je veux pas que t'aies plus de cheveux à l'école.
- T'en fais pas mon bonhomme, je les aurai mes cheveux tout à l'heure pour ta rentrée. Et après, quand je n'en aurai plus, je mettrai un bonnet ou un foulard. Ça ne se verra pas. Et puis, ils vont repousser après."
Sourire du petit homme. Sourire soulagé de la Maman. Mon homme est rentré. Il venait d'assurer la rentrée au collège de sa grande fille :
"Il y a un vent à décorner les boeufs dehors !"
Super... Sur le perron, j'ai découvert un vent vigoureux. Il déracinait tout ce qui me restait ! Je voyais mes cheveux s'envoler, se carapater à l'horizontale dans les rafales. J'ai dû plaquer mes 2 mains sur la tête. J'ai accompagné mon petit homme de 5 ans dans sa classe, photographié sa bouille réjouie et insouciante, embrassé copieusement ses bonnes joues. J'avais réussi. Je suis revenue chez nous heureuse d'avoir "normalement" assuré la rentrée du petit homme. Et sans attendre d'avantage, j'ai demandé à mon Homme-aimé de me raser la tête. A 9H25, mon homme me scalpait la pastèque au dessus de la baignoire. Il a découvert attendri à la base de ma nuque, la même petite tache que celle de nos deux petits garçons. A 10H, j'étais chauve.
"On voit encore mieux tes yeux de chat."
Je n'ai pas versé une larme... jusqu'à ce que je retrouve mon petit écolier dans l'après midi. Je portais un bandana de coton blanc. Le petit homme était très impatient de découvrir mon crâne lisse.
"Je peux voir ?"
Dans l'escalier de l'entrée où nous étions assis, je me suis découverte et j'ai tourné mon nouveau visage vers lui, avec un sourire timide. Que va t-il penser de sa Maman ratiboisée ?... J'ai cru lire de la gêne, plutôt de la pudeur dans son regard. Il a souri de ce sourire retenu, lèvres closes, que je lui connais bien. Les premiers mots sont sortis au diner :
" Ils auront repoussé tes cheveux, demain, Maman ?"
Et le soir, dans l'intimité du moment du coucher, il a eu cette phrase, dont seuls les enfants sont capables ; cette phrase aussi spontanée que cruelle, que j'entends encore :
"Je te reconnais plus. C'est comme si tu n'étais plus ma Maman."
J'ai serré fort les mâchoires pour écrabouiller cette boule qui venait de grimper. J'ai articulé une réponse dont je me demande toujours comment elle a pu sortir aussi juste :
"Moi non plus je ne me reconnais plus tu sais... Mais c'est bien moi. Et je suis toujours ta Maman. Et je t'aime. Ça, ça ne changera jamais."
* Trois fois, depuis l'écriture de ce texte : en septembre 2019, le diagnostic des métastases cérébrales m'oblige à ne plus porter de casque réfrigérant. On espère en effet que la chimiothérapie d'alors, le Taxol, circule un minimum au cerveau pour contenir la situation et reculer l'échéance de la radiothérapie cérébrale. La radiothérapie de l'encéphale in toto aura finalement lieu en janvier 2020 avec l'alopécie définitive ou quasi qu'elle implique.
AVANT : 3 septembre 2009, "en cheveux". APRES : 6 septembre 2009, en foulard.