10 Octobre 2013
Le tout petit homme pleure. Il a très peur. Il devrait dormir. Il ne peut pas : les lapins violets hirsutes aux dents pointues vont venir le croquer. Toute une armée. Des pas commodes. Des gros, bien plus gros que le tout petit homme. Je lui parle du granule anti-lapin. Une pilule, une seule et ça déguerpit. Ca décampe dans la plaine. Pompons violets en déroute, par dessus les herbes hautes de l'imagination du tout petit homme. TER-MI-NE ! A PU LES LAPINS VIOLETS ! Les grands yeux noisette du tout petit homme me regardent éberlués et pleins d'espoirs.
"Tu veux essayer le comprimé contre les lapins violets ?"
Le visage, encore mouillé des larmes de la peur bleue des lapins violets, fait "oui". Nous partons donc en direction de la "réserve à comprimés". Dans le tiroir de la cuisine. Celui de gauche, tout en haut. J'avise un pot de Valériane. Herbacée bien inoffensive, qui ne parvient même pas à tuer mes insomnies... Mais c'est LE pot, L'ARME ABSOLUE CONTRE LE LAPIN VIOLET.
J'élabore très sérieusement la potion. Je coupe la gélule en deux et vide la poudre verte qui sent très mauvais dans un grand verre (Cette odeur, mon tout petit homme, le lapin violet, ça le fait fuir, tu comprends ?). Je verse 5 cuillerées de jus d'orange organique. Le tout petit homme s'approche religieusement avec une paille rose (Notons que les couleurs prennent de la place dans cette histoire). Ce n'est pas très bon, c'est certain. Mais il boit courageusement le breuvage jusqu'à la dernière trace sur le fond. Nous remontons les escaliers blancs vers la chambre. Le pas est décidé. Mon vieux, les lapins violets hirsutes aux dents pointues, j'aimerais pas être à votre place. Mon petit doigt me dit que vous allez dérouiller.
Le tout petit homme a très bien dormi. Mais si un lapin violet avait survécu au massacre de la poudre verte cette nuit là, je garde mon pot de Valériane pour lui régler son compte.
J'ai aussi chassé le monstre pustuleux il y a quelques années, appelée par le petit homme peu rassuré. Derrière la porte, les rideaux, dans les placards. Battue bruyante dans la chambre turquoise de la maison d'avant, comme on frappe l'herbe haute en parlant fort, pour effrayer la vipère à la campagne.
Les monstres à furoncles et les lapins ébouriffés, surtout violets, je suis comme vous, je n'y crois guère. Mais si les petits hommes y croient dur comme fer, s'ils en cauchemardent, alors je veux bien faire un effort d'imagination. Un monstre bubonique ? Un lapin mal coiffé ? Ou ça, que je le trucide ?! Toui ! Toui ! Je compatis, car moi aussi j'en ai connu, petite, de ces bestioles mal embouchées. La nuit venue, dans le lit superposé de la maison de Tahiti, le dos tourné à la porte, je m'écrasais le nez contre le mur. Je ne voulais pas voir entrer l'intrus velu. Si je ne le voyais pas, peut-être ne me verrait-il pas lui non plus ?
Et puis, j'aime avoir 9 ans encore. Danser le papa Pingouin le matin, faire la course Arc en ciel en Super Mario Kart, traquer le poisson de roche devant la maison avec le tout petit homme passionné de pêche, barbouiller la toile de couleurs avec mon artiste peintre en herbe, courir après la voiture quand elle part pour l'école, grimacer pour faire rire les petits hommes, très bon public, construire pièce après pièce, les Transformers de Légo, jouer au train Duplo, faire le requin dans la piscine et les mégas-gigas-prouts sur les nombrils consentants. Parfois, je suis une enfant. Comme les petits hommes.
Parfois je suis leur Maman. Et je me régale de les observer. Une mimique, un bout de langue sortie parce que le tout petit homme s'applique. Une expression insolite dans la bouche du petit homme érudit. Une intonation quand il récite Maurice Carême, comme moi en soixante-dix-huit !
Je me régale de les voir grandir.