27 Mars 2019
9 mois ! On aura grappillé quasi 9 mois, avec Xéloda. Capécitabine, de son nom chimico-savant. Ça peut te paraitre peu. Quelques temps en arrière, quand l'hormonothérapie du Létrozole-post-Taxol tenait tout bien serré dans ses molécules, quand les salopiotes s'étaient carapatées, que je savourais 4 années de répit, tout traitement qui ne dépassait pas l'année dans les statistiques me paraissait peu de chose, un pet de puce, pas plus.
Mais depuis Septembre 2017 que ça déconne, qu'on tâtonne, que l'Éxémestane, l'Afinitor, le Faslodex et le Palboclib se sont cassés les quenottes sur mon cancer de compète, j'ai revu la rudesse de mon avis sur Xéloda. Le gars a tenu plus longtemps que toutes ces hormonothérapies réunies. Xélo, c'est de la chimio. Orale. Ça autorise une certaine liberté : tu peux te promener partout avec tes cachets.
Il s'attaque à la division cellulaire, comme Palbo, mais autrement. Je ne cherche pas à comprendre sa méthode de travail. "Je me fous des moyens, je veux des résultats" ai-je entendu un jour de la part d'un chefaillon de mes débuts professionnels. Je ne suis pas loin des mêmes exigences pour Xéloda... Tout en espérant un minimum de précautions de sa part. Le jour où je déroule sa notice, je comprends que la cohabitation sera compliquée.
Des lignes, des paragraphes sur des pages, recto, verso... Profil bas, autant que le moral, devant le pédigrée du gaillard. Super Mario me parle de possibles diarrhées. Il prescrit l'Immodium. Il me parle d'aphtes et de mucites. Il prescrit la solution de bicarbonate de sodium. Il me parle de sécheresse cutanée, des mains, des pieds. Il prescrit la crème au calendula.
Pas de diarrhée, ni d'aphtes finalement.
Mais de violents malaises inexpérimentés jusqu'ici. Le premier me cueille au sortir de la douche le matin du 18 juin 2018. Je suis nue comme un ver. Je réunis mes dernières forces, j'enfile ce qui me tombe sous la mains dans la mesure de mes moyens, autrement dit le minimum : une culotte et un gilet. Le petit noir, plutôt cintrée. Il est sur le dessus de la pile dans les étagères. Facile à empoigner. Je m'affale sur le lit plutôt que je ne m'y allonge. Je laisse un message assez explicite à mon Homme-aimé : "Rentre ! Malaise !" et j'appelle le 15. Quand le SAMU décroche, ma mâchoire et mon bras gauche sont compressés, mon coeur cogne, et je suffoque. Je réponds comme je peux aux questions posées. Je raccroche. Je me raisonne. Souffler. Se calmer. Dominer la panique. Dominer les larmes. Je pense à tous ces traitements cardio-toxiques depuis 1997. Je vais mourir d'un infarctus ! Souffler. Mais qu'est ce qu'ils fabriquent ! Souffler. D'un coup, une équipe de pompiers envahit la chambre. Mon Homme-aimé est avec eux. Il les a appelés de son côté. Le SAMU est-il arrivé lui aussi ? Mes souvenirs sont flous. Un pompier me prend le bras. Il cocotte. Il fouette la cigarette. Je comprends qu'il veut poser une intra-veineuse. "Non, pas d'intra-veineuse. Que dans le PAC !" Mon Homme-aimé explique. Les cancers. Les chimios. Les veines impraticables. Les injections exclusivement dans le PAC. Le pompier ne sait pas faire. Il me colle donc la ration requise de tranquillisants dans la bouche. Les comprimés se délitent. Mon cerveau aussi. On me soulève. Bing, le brancard dans le cadre fraichement rénové de la porte. Va falloir faire une retouche de peinture. La futilité des détails auxquels on peut penser dans la tourmente... Le camion rouge démarre et la sirène avec.
À l'hôpital de Saint Nazaire, on soupçonne un malaise du myocarde. L'électrocardiogramme et le taux de troponine dans le sang sont normaux. Malaise du myocarde écarté. J'ai une déficience en DPD, cette enzyme qui doit neutraliser la toxicité de la Capécitabine. L'analyse sanguine fortement recommandée (mais si peu réalisée) avant l'administration de 5Fu et de Capécitabine l'a démontré. Les doses de Xéloda ont été diminuées de 70% pour en tenir compte (j'ai démarré à 2600mg quotidiens sur 15 jours avec une semaine de récupération). Malgré tout, malaise. Bon. Bizarre.
Le lendemain, 19 juin, re malaise. Le même. Mâchoire et bras gauche écrabouillés, coeur emballé, respiration coupée. J'ai rendez-vous au centre anti-cancer de Nantes pour une consultation préalable de radiothérapie. Il s'agit de définir les modalités de cuisson de cette métastase du fémur, récemment sortie de son sommeil. C'est l'affaire d'une petite heure. Le centre me gardera 10 jours. 10 jours tétraplégiques, apocalyptiques. 10 jours dont je sors sans réelle explication de ce qui m'aplatit. Mais Xéloda est disculpé. Je reprends le traitement. Avec le Vérapamil, pour prévenir d'éventuels malaises myocardiques.
Dans les mois qui suivent, régulièrement, les douleurs à la mâchoire et au bras reviennent. Sur mes gardes, j'y suis attentive et interromps tout effort aux premiers signes. Lors de l'une de mes marches quotidiennes sur la côte sauvage, cela me vaut de rester 20 minutes figée sur un caillou de la plage de Saint Goustan, en attendant que passent les symptômes. C'était l'hiver, par grand vent de nord. Mes fesses, au contact de la pierre glacée, s'en souviennent encore. Mes oreilles, malgré le bonnet de laine, aussi.
Autre effet "secondaire" du Xéloda sur moi, les troubles de la vision. Sévères les troubles. Pas au point de la chanson des Beatles "picture yourself in a boat on a river, with tangerine trees and marmelade sky" *. J'ai néanmoins par moments, les yeux kaléidoscope de Lucy in the sky with diamonds** ! Le paysage cisaillé de formes géométriques et le sol marshmallow en vagues mouvantes. Je me tape les tempes. Je secoue la cabosse (oui, je dis cabosse et c'est exprès). Si l'image est tronquée à gauche, barrée de noir et de blanc, je tourne la tête du même côté tout en continuant de fixer droit devant. La tentative de restauration de l'écran panoramique ne donnera jamais aucun résultat. Seul le repos des yeux, l'absence de sollicitation visuelle, en clair, la fermeture prolongée des paupières permet le retour à la normale. Ça surprend la première fois. C'est même un foutu flippe ! Tu te demandes bien si Lucy va redescendre de l'arc en ciel, avec ou sans diamants, mais en bas, sur la terre ferme et fixe, bougre d'illuminée !
En octobre, en vacances à New York, après une journée de crapahute copieuse et inconsciente, je découvre une autre joyeuseté : le syndrome main-pied. Ce soir là, le retour à l'hôtel s'apparente à une marche sur le feu. Soutenue par mes deux petits hommes, chaque pas nécessite moultes délicatesses. Je pose le pied bien à plat, je le lève bien à plat aussi. Rien ne doit frotter, ou le moins possible, sur ma peau flambée. À quoi ça ressemble le syndrome main-pied ? À ça :
La peau rougie, épaissie, cartonnée, fissurée, décapée, urticante... Une souffrance constante, quotidienne, qui empêche les gestes les plus simples : ouvrir sa bouteille d'eau, refermer la main sur sa tasse de thé, les doigts sur un stylo, écrire, marcher, prendre un bain, débloquer son téléphone avec l'index...
Des mois durant, tout le jour, je teste et tartine en couches épaisses toutes sortes de crèmes, calendula, aloé-vera, paraffine, urée, acide hyaluronique. Capsules de vitamine E percées et posées pures sur la peau. Chaussons et gants la nuit pour que ça marine. Chaussons et gants le jour pour soulager encore. Un peu. Tous ces soins ont sans doute limité la casse. Mais vu ce que je me suis coltinée, le grade 3 a été atteint et haut la main !
Janvier, Xélo fait encore mollement le boulot. Ni recul, ni progression flagrante des salopiotes. Discrète progression du CA15-3. Je flaire les embrouilles. Super Mario rassure.
Mars, Xélo n'assure plus un clou : les salopiotes pullulent et prospèrent. Partout la déconfiture. C'est la situation du foie qui me sidère. Non seulement les cinq salopiotes se sont multipliées, mais les deux ciblées pour les besoins du suivi sont passées de 7 millimètres un mois et demi plus tôt, à 3 centimètres ! Flippomètre rouge carmin, tu te doutes bien. Le foie, c'est un peu le couteau suisse des organes : indispensable et multifonctions. Le gaillard contrôle, digère, régule, produit, détruit... Bref, on compte un peu sur lui. Super Mario rassure à nouveau. Le foie, c'est pas un nabot, c'est même un gros balèze : 1,5 kg chez l'adulte, il a du répondant. Le mien se défend vaillamment. Au dehors, aucun indice flagrant des conséquences de la baston qui s'opère dedans : j'ai le blanc des yeux immaculé, la peau ni plus ni moins jaune qu'à l'accoutumé, les urines claires. Bon, je me gratte parfois sauvagement tant ça démange, je sens bien que ça tiraille dans les entrailles, là, juste sous les côtes à droite et je me sens flagada. Je mettais ça sur le compte de Xélo et ses comparses avant lui. Super Mario m'apprend que ma carcasse commence plutôt à encaisser ce que le cancer lui fait subir. C'est la maladie qui grandit qui me ratatine. Faut que je me redresse, que je la presse, que je reprenne le dessus.
Demain, je m'acoquine avec une nouvelle "chimiothérapeutêtrequeçavamarcher". Peut-être. Peut-être pas. Vu le nombre de fantassins balayés par la bestiole en moins de 2 années, mes convictions s'émoussent, c'est forcé.
* imagine-toi dans un bateau sur une rivière, avec des mandariniers et un ciel de marmelade.
** Lucy dans le ciel avec des diamants