13 Juin 2018
C'était prévu pourtant. Depuis le début du printemps que je les fréquente ces deux-là, c'était prévu. Comme je t'avais présenté "les collègues d'avant", ceux de l'automne, AFINITOR et ÉXÉMESTANE. Je t'aurais dis leurs petits noms, Palbo et Faslo, leur métier de tueur, leurs méthodes, leurs tarifs faramineux, respectivement 2861 et 475 euros à la pharmacie d'ici, qui font que tu te sens fichtrement chanceux de les avoir à tes côtés. Je t'aurais raconté nos rencontres, incommodes, très incommodes, l'aiguille grande comme la main de Faslodex, la double injection lente, interminable, dans les mottes non consentantes mais soumises, 500mg de solution méphistophélique, jaune, huileuse, fleurant l'huile de ricin, le feu aux fesses instantané, le manque de place sous les tissus pour absorber la quantité astronomique imposée, les boules sur les fesses à force, jamais résorbées pour l'injection suivante 28 jours après, les céphalées moi qui ne savais pas ce que c'était, en plus des douleurs musculaires usuelles. Palbo, c'est pas un vilain bougre en comparaison de son acolyte. Pas contraignant en apparence, le garçon : 125mg quotidiens à heure fixe, une gélule sympathiquement colorée, terra-cota, évocation du sud, du soleil, de l'été... En apparence. Car Palbo met le paquet, il trucide généreux, il canarde copieux, planquez les plaquettes et les neutrophiles, tous aux abris, ça va saigner. Le carnage, 3 semaines durant, impose la trêve, une semaine, parfois plus, le temps que les fantassins se relèvent, prise de sang pour évaluer les pertes dans les bataillons de globules blancs qui te protègent. 1000 neutrophiles, 100000 plaquettes, c'est le minimum pour y retourner. C'est aussi la semaine flagadasthénique pour toi, atomisée totalement du dedans.
Si tu veux tout savoir sur Palbo et Faslo, parles-en à ton onco. Moi finalement, j'aurais pas le temps : depuis hier, Palbo, Faslo et moi, c'est finito. Je rerepasse à la chimio. Et à la radio ! Radiothérapie sur les os... Plus de 10 ans que j'y ai pas regoûté. Ça va faire tout drôle la semaine prochaine de rempiler.
Enfin tout "drôle"... Non, c'est pas drôle. Hier avec Super Mario, j'avais pas envie de rigoler. Et lui non plus. La scintigraphie du lundi ratifie les derniers records du cancer dans l'ascension de mon squelette. Poursuite de la grimpette vertébrale, des lombaires, vers les thoraciques (T11) et les cervicales (C7). Lésions actives sur la tête fémorale gauche. Actives, je le crois volontiers vu l'intensité des brûlures ressenties ces jours derniers à la jointure de la hanche. Les autres lésions ostéocondensantes du bassin et du rachis sont elles encore en sommeil. La progression des marqueurs ne laisse pas de place au doute non plus. Dommage. C'est le sens de ce que j'ai pu articuler devant Super Mario. Je crois :
"C'est dur, j'ai vraiment cru que ça marchait, que ça allait marcher.
- Moi aussi".
Super Mario, super emmouscaillé. Sincèrement. Ses yeux sombres compatissent et se désolent. Mes yeux à moi, larmoient largement. Ma bouche s'excuse souvent de ces larmes qui vont, viennent, s'en vont, puis reviennent. Mes deux oreilles entendent les "pardon" de la bouche, au moins 3 fois. Je crois. Ma bouche pose des questions, dont les oreilles n'entendent pas les réponses. Rien ne semble plus connecté convenablement dans cette tête de compète en temps normal. Super Mario s'en rend compte :
"On va se reparler, dans 2 ou 3 jours, jeudi."
Moi, ensuquée dans ma mélasse encéphalique :
"Pourquoi ? Vous ne m'avez pas tout dit ?
- Non, non, ce n'est pas ça. C'est vous qui aurez sans doute à me dire, des questions... On va laisser retomber tout ça. Je vais vous rappeler jeudi après midi"
Bien vu Super Mario. Avec la restauration des circuits du ciboulot, les questions rappliquent en effet depuis notre conversation. Je les consigne avec conscience dans le cahier rouge de mes consultations et j'attends l'appel.
C'est la merde ces nouvelles. Ce cancer, c'est la merde. Mais je ne l'emmerde pas tu vois. Même pas tentée de dire Fuck le cancer ! À quoi ça rimerait ce raout. Ça me ferait l'impression du gars qui se prend la déculottée, détale aussi loin que possible et dès qu'il se sent hors de portée : "Je t'emmerde !". Bah non, je l'emmerde pas mon cancer. Il est costaud. Il a trouvé la parade. Accro aux hormones, mais après 5-6 ans du siège qui l'affame, il est capable de faire sans ! Il se tamponne des derniers traitements à la pointe. Efficacité testée, prouvée, mais sur lui, que dalle, même pas mal. Chapeau. Clap, clap, clap (là, j'applaudis). C'est pas la moitié d'un con mon cancer. J'en tire presque de la satisfaction. Presque. Pas du tout en vérité. Et j'espère lui faire la peau sans trop abimer la mienne, avec la prochaine offensive. Les poumons, les os, le foie... Il faut l'arrêter bon sang. Banzaï.