12 Novembre 2013
Vers 1H30 ce matin, je remarque sur la carte des navires en temps réel, que le Quentin Grégoire remonte droit sur le Croisic. Il file à 10 noeuds vers l'entrée du port. Ca y est, mon Homme aimé revient !
Je fais des allers et venues entre la fenêtre du salon et la carte sur internet. La trajectoire du Quentin Grégoire vire au large de la digue. Je devrais le voir maintenant. 1H40, je distingue les lumières du navire entre les balises, lointaines, faiblardes. J'ai un doute. Je retourne à ma carte. C'est lui. Ce ne peut être que lui. Le Mooréa est déjà à quai. Le bateau que je vois là, sous mon nez, c'est bien celui de mon chéri !
Waou, j'y vais, je fonce, je vole, j'arrive mon Homme aimé ! Je dévale l'escalier, décroche mon imper du porte manteau et claque la porte dans la foulée. Quand je grimpe dans la voiture, la cabine du chalutier passe déjà au dessus de l'esplanade Marcel Toby devant la maison. Elle progresse maintenant vers le Mont Lénigo. Mon vieux, il va bon train ce bateau ! Dans la précipitation, je vais trop loin, jusqu'à l'ancienne criée. Je dois faire un demi tour peu convenable (le quai est désert à cette heure et c'est tant mieux) ; revenir, toujours avec le Quentin Grégoire en ligne de mire. Enfin le rond point de l'Estacade et la place d'armes. Je coupe le moteur. Quelle excitation ! Que de papillons dans le coeur ! Je saute de la voiture avec le sachet de financiers acheté plus tôt dans la journée au salon du chocolat (du Croisic). Mon Homme aimé aime les financiers. Je l'aperçois sur le pont pendant la manoeuvre. Lui ne me voit pas encore. Salopetté de ciré jaune, botté et ganté, un vrai marin-pêcheur ! Appuyé au bastingage, un compère de pêche, salopetté lui aussi, mais dans un format très, très nettement supérieur, lance "Vla ta p'tite femme !". Mon homme aimé me sourit.
Les traits sont fatigués. Mais ses yeux me disent "je pète le feu, je suis heureux, tu vois comme je suis heureux ? je suis content que tu sois venue me voir, c'est une chouette surprise que tu me fais là, je suis touché." Tout ça à la fois. Et encore, il n'a pas vu mes financiers. C'est inattendu, c'est irréel, ces retrouvailles en milieu inconnu, au milieu de la nuit. C'est tant d'émotions en si peu de temps, à contre temps, que je serai incapable de m'endormir après. Ma tête turbinera à plein régime. Des heures durant. Défilé d'images. Mémoire des mots échangés... et de cette légère odeur de poisson reniflée plus tôt dans le cou de mon Homme ! :)
Le chalutier termine la manoeuvre. Les marins s'affairent, sécurisent l'amarrage. Faut voir le diamètre des aussières... Epaisses comme un mollet, et un mollet grassouillet. Mouillées, détrempées par dessus le marché. Elles doivent peser un paquet. Ils sont deux à tirer dessus pour tendre celle de la poupe. A genoux sur le pont glissant. Ils ne sont pas là pour rigoler. Faut décharger. A la grue. Des caisses et des caisses. Du poisson de toutes les espèces. Poser sur les charriots de fer blanc, puis sur les palettes vertes. Séparer ce que l'on réserve à la Criée de la Turballe. Le congre se vendra mieux là bas. Les crustacé et les soles restent Croisic.
Il y a des seiches, des requins (Ils appellent ça du chien, je ne vois pas bien la ressemblance, m'enfin, c'est comme ça, c'est du chien, point), des tacauds, des rougets, des bars (pas trop, mais des gros), un Saint Pierre, une raie, de la lotte... Je ne sais plus ! Plein de caisses. Plein de poissons. Plein de tourteaux. Entiers ! Pas amputés ! On m'explique : quand la carapace est belle, le tourteau a le droit de mourir avec ses pinces. Ce sont les difformes de la coquille qui se font arracher les pattes avant d'être rejetés à l'océan. Chez les crustacés aussi, on subit la discrimination.
En voyant tant de poissons occis, je demande comment il peut rester des poissons en vie derrière les filets. Les pêcheurs passent et repassent et ratissent au même endroit, tous les chalutiers du Croisic et de la Turballe, et même des espagnols, qu'on se demande bien pourquoi ils viennent CHEZ NOUS, pêcher NOTRE poisson, nom de nom ! Eh bien il y a encore du poisson ! Du poisson pas fin. Du poisson très con même, pour rester dans la zone, dans la ronde des chalutiers et des grands filets, au large de Noirmoutiers.
Pour l'équipage, la pêche est moyenne pourtant. Trop de houle les premiers jours. Ils n'aiment pas se faire secouer les poissons. Quand il fait un temps pourri dehors, ils restent au chaud chez eux, ils sont comme nous.
Et vous savez ce que j'ai vu ce matin, sur l'étal de mon poissonnier ? De la sole du Quentin Grégoire !! C'était marqué sur l'étiquette : "Criée du Croisic. 12 novembre 2013. Quentin Grégoire". Là, sous mes yeux et bientôt dans mon assiette et dans mon estomac, le poisson que mon Homme aimé a pêché, trié et déchargé cette nuit sur le quai ! Eh ben rigolez si vous voulez, mais moi ça, ça m'a fait ouvrir grand la bouche en banane. Sourire émerveillé. Magie du poisson pêché loin là bas par mon Homme et retrouvé là devant moi. Fierté enfin, de l'utilité de mon marin, pas encore pêcheur mais qui va le devenir.