8 Mai 2019
Il y a des jours cruels.
Des jours où l’on ne voit que le visage abimé, les sillons, les poches, la peau fatiguée, les sourcils artificiels, trop sombres et trop réguliers pour être honnêtes, les cheveux blancs de plus en plus nombreux, les cheveux de moins en moins nombreux pourtant, les poignées de cheveux ramassées encore dans la douche après le shampoing précautionneux, les cheveux dans la serviette, les cheveux partout par terre après le séchage à l’air froid, les cheveux que l’on perd en sachant que ce ne sera pas temporaire, la chimio qui les décime sera prise et reprise et rereprise jusqu’à plus soif, puis une autre viendra ou un autre traitement qui abimera encore. Il y a des jours cruels où l’on n’arrive plus à sourire, où l’humeur est méchante y compris, surtout avec ceux que l’on aime. Parce qu’ils sont là et qu’ils trinquent pour les autres, pour la merde dans laquelle on trempe, pour l’injustice, pour la colère rentrée qui déborde les jours cruels.
Je suis au centre. Super Mario et moi allons discuter. J’en ai besoin. Je vais ravaler les larmes et la bile. Je vais me ramasser, me redresser pour que ce rendez-vous soit utile. J’y vais.
Tous les fauteuils de la salle d'attente sont occupés. La vaillante assistante est assaillie, déjà en conversation avec un couple. D'autres patientent devant son bureau ouvert. Je serre les étiquettes que l'on m'a remises à l'accueil du rez de chaussée. Elles m'identifient et permettent l'enregistrement de la consultation du jour. À côté de la porte fermée de Super Mario, je me sens petite. Chaque médecin a sa porte, avec son nom dessus. Certains peuvent changer de place au gré des disponibilités. Mais pas Super Mario. Super Mario ne bouge jamais. Second étage, au bout du couloir, à droite. La porte s'ouvre. Une femme bien moins flétrie que moi se tient dans l'encadrure. Je remarque ses yeux bleus et sa veste kaki. Je me sens minuscule. Moi aussi, je porte ma veste kaki. Mais je suis décatie et j'ai le teint gris, aussi gris que mes cheveux épars. Les siens sont noirs, épais et courts. Elle a sans doute fini les traitements lourds. La vie belle a repris pour elle : Super Mario lui souhaite "bonne continuation". C'est à moi. Je me sens microscopique. Je serre la main tendue, ferme et forte sans écrabouiller. Super Mario n'écrabouille pas. Il écoute. Je dis mes doutes. La difficulté à vivre sans savoir. Sans comprendre ce qui dégrade mes poumons. Sans certitude en conséquence, d'être soignée efficacement. Je pleure. Deux fois, il marche jusqu'au distributeur de serviettes en papier de la pièce. Je n'ai pas besoin de demander. Il se lève, revient vers moi, me tend les mouchoirs improvisés, se rassoit et nous poursuivons la discussion :